De mes rêves brillans douce et frêle espérance,
Ces chants, que produisit un trop rare loisir,
C’est au poète de la France,
C’est à toi, Béranger, que j’ose les offrir !
J’aurais pu, leur donnant un essor moins rapide,
Les rendre plus dignes de toi ;
Mais ma Muse a pâli d’effroi
Devant vin avenir perfide.
Pourtant, daigne sourire à ses faibles essais !
Par leur patriotisme ils te plairont peut-être,
Et puissent-ils en moi te faire reconnaître
Sinon un bon poète, au moins un bon Français !
Je le suis, car tes vers plurent à mon enfance,
Car je chéris tes chants nobles ou gracieux,
Car je sens se mouiller mes yeux,
Quand ils nous parlent de la France.
Epouvanté de ses revers,
Mais animé par ses victoires,
C’est à ses malheurs, à ses gloires,
Que j’ai voué mes premiers vers.
Plus de succès peut-être attendaient ma jeunesse,
Si leur vol moins audacieux
Eût su flatter de sa bassesse
D’autres autels et d’autres dieux ;
Mais, à ton idole chérie,
Ma Muse a consacré ses jours :
Un sourire de la Patrie
Vaut mieux que la faveur des Cours.
Qu’ils partent, je les abandonne,
Ces vers, poétiques enfans,
Soit qu’on leur garde une couronne
Ou qu’on enchaîne leurs, accens ;
Car déjà l’horizon menace,
Et le but désiré s’efface
Parmi des nuages sanglans !
Qui les amoncela ? Quel effrayant murmure
A répandu l’effroi dans nos murs attristés ?
Quel monstre osa flétrir de soi ; haleine impure
L’espoir de la patrie et de nos libertés ?
Ah ! déjà ton courage a connu sa puissance,
Et sa fureur, plus d’une fois,
A su livrer ton innocence
Aux fers dont on pare les lois.
Mais que dis-je ? Ces fers, ils m’attendent peut-être,
Car le monstre odieux nous a tous menacés :
Le disciple comme le maître
Se verront réunis dans ses liens glacés ;
Il suffit, pour s’en rendre digne,
D’aimer la patrie et ses droits,
Et sa lâche fureur étouffera la voix
Du faible passereau, comme celle du cigne.
Pour mon noble pays, dont il voudrait ternir
La liberté, les lois, l’histoire,
J’avais conçu pourtant un plus doux avenir ;
Mon espoir quelquefois y répandit la gloire ,
Et crut y découvrir ces tableaux de victoire,
Dont la morte splendeur n’est plus qu’un souvenir ;
Mais, plus tard, j’écartai ces images flatteuses,
Et, modeste en mes vœux, que je plaçai plus bas,
Je rêvai seulement (que ne rêve-t-on pas ?)
Que la France était libre, et qu’elle était heureuse.
Etait-ce trop ?—Hélas ! j’oubliais ses malheurs,
Qui voudrait, à son char la sentant enchaînée ,
Triompher de sa chute, et rire de ses pleurs ;
Puis, sous un joug honteux, avilie, haletante,
Veuve de ses honneurs pour jamais effacés,
L’ensevelir toute expirante
Dans la poudre des temps passés.
Etranger, à l’aspect de la France épuisée,
Alors tu gémirais sur ta lyre brisée,
Et, comme le pouvoir ne peut te pardonner,
Il ne resterait dans nos villes
Que des serfs, pour te plaindre en regrets inutiles,
Et des tyrans pour t’enchaîner !
Cuvant ce temps cruel, dont j’aperçois l’aurore,
Avant que notre voix ne t’implore qu’en vain,
Des chants, ô poète divin !
La France t’en demande encore !
Ce noir présage alors fuira loin de nos cœurs,
Bercés dans un songe de gloire ;
Ainsi qu’aux temps passés, nous nous croirons vainqueurs,
Et pour un avenir nous prendrons leur mémoire.
Mais non, craignons plutôt d’endormir nos esprits
Sur les dangers qui nous menacent :
Que d’autres images se placent
Dans tes énergiques écrits !
Que devant nous, surpris en sa marche perfide,
Le crime comparaisse, hypocrite et livide ;
Qu’à l’aspect effrayant de ses sombres projets,
Dans tous les cœurs vraiment français
Le patriotisme s’éveille !
Qu’on s’écrie : Il est temps ! Il est temps ! Et, tout bas,
Que la voix du Sergent murmure à notre oreille
Ces mots : Dieu, mes enfans, vous donne un beau trépas !