Ils ont dit, fous de haine et d’orgueil : « Nous allons
« Enfin fouler leur sol avec nos lourds talons !
« Notre aigle va couvrir de sa vaste envergure
« Ce clair Paris dont la beauté nous fait injure
« Et laissera tomber, de ses ailes, sur lui,
« Une ombre de stupeur, de désastre et de nuit.
« L’heure que nous guettons depuis quarante années
« Sonne au cadran d’airain des noires destinées :
« Vaincus, tendez vos mains ; vaincus, courbez vos cous
« Debout, fils d’Attila, car la France est à nous ;
« Et que, percée au cœur, on la prenne à la gorge !
« N’entends-tu pas déjà les chaînes qu’on te forge ?
« Déjà saigne ta chair et déjà dans ton sang,
« Dans le plus héroïque et le plus innocent,
« Nous avons largement lavé nos mains brutales.
« Voici crouler tes forts avec tes cathédrales
« Et le fer et le feu ravagent tes cités,
« Et bientôt passera sur tes champs dévastés
« Le galop triomphal de nos hordes guerrières,
« Et rien ne restera de toi, même les pierres ! »
Mais tandis que montait au ciel, avec fureur,
La sinistre, farouche et barbare clameur,
S’élevait, en réponse à cette voix haineuse,
La chanson d’Aisne-et-Marne au chant de Sambre-et-Meuse.
Salut, héros ! Et toi qu’un autre destin penche
À l’heure des combats sur cette feuille blanche,
Est-ce ta faute, hélas ! d’avoir longtemps vécu
Et d’être, lorsque l’an héroïque est venu,
Parmi ceux dont les mains tristement désarmées
Ne peuvent plus se joindre au geste des armées ?
Résigne-toi. Du sol envahi des aïeux
Se lèvent par milliers ses enfants glorieux.
Ils viennent te venger, ô France, et te défendre !
La terre où sont nos morts sera douce à leur cendre.
Leur pas sonne comme le pas des conquérants.
Admire-les. Salue au passage leurs rangs,
Toi qui restes, mêlant ton âme avec leurs âmes.
De ton ardeur éteinte ils sont les jeunes flammes,
Ceux-là qui vont mourir ou vaincre, avec orgueil !
Il est trop tard. Demeure à présent sur le seuil.
Mais au moins, que ta main sur cette page blanche
Inscrive les exploits de la grande revanche
En écoutant le bruit de gloire, à l’horizon,
Qui vient à nous avec la rumeur du canon,
Et que ton sang réponde en ta veine vieillie
À chaque battement du cœur de la Patrie !