Nocturne

 

On a des jours faits d’ombre et de mélancolie
      Et d’inexprimable dégoût,
Où le cœur se repaît du passé qu’on oublie
Comme d’un fruit perdu dont on garde le goût.

Un sang vif et fiévreux vous bat contre les tempes :
      Comme une mer sur des galets ;
On trouve dans son cœur à peine quelques lampes :
C’est la chambre funèbre où sont clos les volets ;

C’est la chambre où, dans l’ombre, en mystiques toilettes
      Dorment tous nos espoirs brisés ;
Gardant sur le rigide aspect de leurs squelettes
La forme et le parfum de nos anciens baisers.

On a de ces jours noirs où l’on reprend la route
      Qu’on avait suivie au printemps,
Quand les rameaux fleuris s’arrondissaient en voûte
Et que le vieux soleil riait à nos vingt ans !…

Les buissons sont moins verts, les brises sont plus fraîches
      Les lointains moins ensoleillés ;
Et comme l’arbre voit danser ses feuilles sèches,
Le cœur voit tournoyer ses rêves effeuillés !

On doute ; on prend pitié des extases anciennes
      Quand on priait à deux genoux,
Dans l’églises où flottaient les voix musiciennes
Des enfants du lutrin aux profils blonds et doux.

On rêve des amours naïves de cousine,
      Des mains chaudes qu’on se pressait,
Quand elle s’asseyait à la place voisine
Montrant deux seins de neige au fond de son corset.

On revit ces matins de jeunesse et de fièvres
      Où, tenant une femme au bras,
On se sentait frémir des ailes sur les lèvres
Pour dire de doux mots qu’on ne comprenait pas !…

On songe au calme exquis du foyer, à sa mère
      Blanche dans un grand fauteuil noir ;
Au temps où l’on n’avait pas vu fuir la chimère
Comme une lampe errante aux vitres d’un manoir,

Quand on venait le soir lire et causer près d’elle,
      Et tendre son front à sa main
Pour qu’elle s’y posât avec un doux bruit d’aile,
Et vous fit retrouver l’espoir du lendemain !…

On reprend peu à peu les lointaines années
      Dont on se souvient à moitié ;
Et l’on cherche un parfum à ces roses fanées
Qu’on aurait dû jeter loin de soi sans pitié !…

O les rêves d’amour ! ô les rêves de gloire !
      Débris qu’apporte le reflux ;
Tu te tais à jamais, double clavier d’ivoire,
Quand la jeunesse aux doigts légers n’y touche plus !…

Puis on a tout à coup des soubresauts farouches,
      Et l’on est pris d’un tel ennui
Qu’on voudrait que la Mort glaçât toutes les bouches
Et fermât tous les yeux dans une immense nuit.

Voyant les cœurs si faux et les âmes si viles,
      On voudrait, ― fuyant pour jamais,
Loin des clameurs, loin des trahisons, loin des villes, ―
Vivre à voir les oiseaux passer, sur les sommets !…

On voudrait la siffler, la comédie humaine,
      Et brusquement s’en retirer,
Voyant que chacun porte un masque, et se démène
Pour vivre, sans songer que vivre c’est pleurer !…

On voudrait se coucher, l’été, lorsque tout brille,
      Dans un calme petit caveau,
Où les parents viendraient remplacer sur la grille
Les vieux bouquets par un bouquet nouveau !…

On voudrait soudain déployer sa tunique
      Au vent, dans les lointains rougis ;
Et chevaucher avec le Géant satanique
Pour vivre ― nouveau Faust ― sa nuit de Walpurgis !…

Et se gorger de vins, et se gorger de viandes,
      Sous la clarté des torses nus
Qui s’entremêleraient, ainsi que des guirlandes,
Pour vous faire mourir en spasmes inconnus.

Puis après ces accès de spleen et de colère
      L’homme se résigne, et s’unit
A ce mystérieux calme crépusculaire
De l’oubli qui commence et du jour qui finit.

On dirait d’un condor, aux allures hautaines
      Dans sa cage au treillis tordu,
Qui rêve par moments des montagnes lointaines,
Et voudrait s’envoler dans les vents, éperdu !…

Il ouvre alors ses deux ailes, se met en garde
      Et se débat dans sa prison,
Mais, vaincu par la lutte, il se calme et regarde
Le grand soleil qui tombe au bout de l’horizon !…

Collection: 
1879

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