Mon ami le vent

 
    Mon vieil ami le vent, entre dans ma demeure
    Et joins ta voix à ma voix lamentable et pleure…
    Pleurons le jour, pleurons le soir, pleurons la nuit.

    Pleurons avec la voix des femmes malheureuses
    Sur la jeunesse morte et sur l’amour qui fuit
    Malgré les bras tendus des tristes amoureuses.

    Pleurons les jougs mauvais qui pèsent sur les fronts
    Et sur tous et sur tout, ô mon ami, pleurons !
    Pleurons sur le sort mauvais des âtres et des choses.

    Plaignons les yeux que nul rayon d’or ne ravit,
    Les vieux livres brûlés, la lente mort des roses…
    O vent, mon ami cher, plaignons tout ce qui vit !

    Qu’on s’éloigne de la grand’salle où l’ombre flotte,
    Et que nul ne m’entende, alors que je sanglote
    Ainsi que fait le vent, dans les coins endormis.

    Et le chêne s’écroule au loin, la vitre tremble…
    Nous nous aimons et nous sommes de vieux amis
    Car nous pleurons ensemble.

Collection: 
1897

More from Poet

  • À Madame L.D. M...

    Le soir s'est refermé, telle une sombre porte,
    Sur mes ravissements, sur mes élans d'hier...
    Je t'évoque, ô splendide ! ô fille de la mer !
    Et je viens te pleurer comme on pleure une morte.

    L'air des bleus horizons ne gonfle plus tes seins,...

  • Le jour ne perce plus de flèches arrogantes
    Les bois émerveillés de la beauté des nuits,
    Et c'est l'heure troublée où dansent les Bacchantes
    Parmi l'accablement des rythmes alanguis.

    Leurs cheveux emmêlés pleurent le sang des vignes,
    Leurs pieds vifs sont légers...

  • Le soir était plus doux que l'ombre d'une fleur.
    J'entrai dans l'ombre ainsi qu'en un parfait asile.
    La voix, récompensant mon attente docile,
    Me chuchota: "Vois le palais de la douleur".

    Mes yeux las s'enchantaient du violet, couleur
    Unique car le noir dominait....

  • Le soir, ouvrant au vent ses ailes de phalène,
    Évoque un souvenir fragilement rosé,
    Le souvenir, touchant comme un Saxe brisé,
    De ta naïveté fraîche de porcelaine.

    Notre chambre d'hier, où meurt la marjolaine,
    N'aura plus ton regard plein de ciel ardoisé,
    Ni...

  • Ô Sommeil, ô Mort tiède, ô musique muette !
    Ton visage s'incline éternellement las,
    Et le songe fleurit à l'ombre de tes pas,
    Ainsi qu'une nocturne et sombre violette.

    Les parfums affaiblis et les astres décrus
    Revivent dans tes mains aux pâles transparences
    ...