Les Roses ou la Moisson de Vénus

 
Un jour la belle Dionée,
Dans un de ces bosquets qui couronnent Paphos,
Fit enlever le fils d’Enée,
Tandis que le sommeil lui versoit des pavots :
Elle-même sema de fraîches violettes
Le gazon embaumé qui lui servoit de lit :
Près d’Ascagne étendue en ces sombres retraites,
Vénus le voit dormir, et Vénus s’attendrit.
La déesse alors se rappelle
Du berger qu’elle aima les jours trop tôt finis.
Il revit pour moi, disoit-elle,
C’est ainsi qu’il dormoit : tel fut mon Adonis.
Elle sent, à ce nom, errer de veine en veine
Ce feu dont le progrès augmente ses appas :
Combien de fois ne voulut-elle pas,
S’élançant à demi, ne respirant qu’à peine,
Au col d’Ascagne entrelacer ses bras !
Le désir naît sur ses lèvres ardentes :
Mais, craignant de troubler ce paisible sommeil,
Elle se laisse aller sur des roses naissantes,
Qui, graces à Vénus, verront plus d’un soleil.
Leur parfum la séduit, et leur fraîcheur l’attire ;
Au gré d’un caprice charmant,
Elle y porte la main, avec feu les respire,
En humecte sa bouche, et croit dans son délire,
Ne baisant que des fleurs, caresser son amant.

Vous eussiez vu les roses enflammées
Sous les caresses de Cypris,
Épanouir leurs feuilles animées
C’est de là que leur vient leur tendre coloris.
Autant de baisers que de roses.
Rivale des zéphyrs légers,
Vénus en donne tant de ses lèvres mi-closes,
Que les roses bientôt vont manquer aux baisers.
Sa moisson faite, elle s’envole ;
Ses cygnes éclatans l’emportent dans les airs,
En longs sillons d’azur devant-elle entr’ouverts,
Elle impose silence aux fiers enfans d’éole,
Et les beaux jours naissent pour l’univers.
Du haut des cieux que son haleine épure,
Où son char d’or lui trace un lumineux chemin,
Vénus sourit, et, le front plus serein,
Va semant les baisers sur toute la nature :
Elle en émaille la verdure,
Colore les épis, teint le duvet des fleurs ;
Elle en couvre les bois, les prés, la grotte obscure,
Et répand sous les eaux leurs subtiles ardeurs.

Depuis ce jour, tout brûle, et s’unit, et s’enlace :
Le bouton d’un beau sein est éclos du baiser ;
Une rose y fleurit pour y marquer sa trace ;
Fier de l’avoir fait naître il aime à s’y fixer.

Collection: 
1754

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