Les fleurs de ciguë

C’était une de ces nuits blondes
Qu’il fait après les jours brûlants :
Pleine d’aurores vagabondes
Et de crépuscules brûlants.

Les arbres, décor sympathique
Sur la lune dans sa rondeur,
Produisaient cet effet d’optique
Qui supprime la profondeur.

Mais le grand ciel bleu par derrière,
Reculait en s’arrondissant,
Avec ses perles de lumière
Au pâle éclat éblouissant.

L’air montait des champs, tiède encore,
Et, comme une baleine en dormant,
Dans la feuille noire et sonore
Faisait un doux bruissement.

La terre n’est point taciturne :
Harmonieuse elle chantait ;
Et dans le grand concert nocturne
La plus chère des voix, c’était,

C’était la voix de l’enfant brune
Ou très-blonde, selon le jour,
Qui ne me gardait plus rancune
D’avoir bien ri de mon amour.

La veille elle était revenue,
De très-loin, me dire tout bas
Que, quant à la vérité nue,
Il valait mieux n’y penser pas...

Et voilà pourquoi sa main blanche
Sur mon bras réconcilié
Pesait si légère dimanche,
Plus douce qu’avant de moitié.

La joie éparse et rayonnante
Que versait la sereine nuit
L’avait mise en humeur charmante :
Il fallait qu’elle fît du bruit.

Une ritournelle à la lèvre,
Et piquant la tête en avant,
Elle sautait comme une chèvre
Au bras du poète rêvant.

Très-jolie, et pas bien coquette,
Elle avait, sans trop s’en douter,

Un faux air de bergeronnette
Avec ses façons de chanter.

Je savourais sa note aiguë...
Elle se baissa tout à coup
Pour cueillir deux fleurs de ciguë
Qui semblaient lui plaire beaucoup.

Elle se les mit à l’oreille
Comme une plume d’employé :
Le blanc des fleurs faisait merveille,
Dans le brun des cheveux noyé.

La blanche joue en devient rose
Par le contraste des blancheurs
Et tout cela fit quelque chose
D’exquis de tons et de couleurs.

Mais parmi tant de fleurs, ma chére,
Dis-moi quelle fut ta raison
De préférer la fleur amère
Et dont le suc est un poison ?

Collection: 
1866

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