L'ennemi

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

- Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

Collection: 
1844

More from Poet

  • Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
    Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
    Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
    Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

    Pendant que des mortels la multitude vile,
    Sous le fouet du Plaisir, ce...

  • Les amants des prostituées
    Sont heureux, dispos et repus ;
    Quant à moi, mes bras sont rompus
    Pour avoir étreint des nuées.

    C'est grâce aux astres nonpareils,
    Qui tout au fond du ciel flamboient,
    Que mes yeux consumés ne voient
    Que des souvenirs de...

  • Vous pouvez mépriser les yeux les plus célèbres,
    Beaux yeux de mon enfant, par où filtre et s'enfuit
    Je ne sais quoi de bon, de doux comme la Nuit !
    Beaux yeux, versez sur moi vos charmantes ténèbres !

    Grands yeux de mon enfant, arcanes adorés,
    Vous ressemblez...

  • Que j'aime voir, chère indolente,
    De ton corps si beau,
    Comme une étoffe vacillante,
    Miroiter la peau !

    Sur ta chevelure profonde
    Aux âcres parfums,
    Mer odorante et vagabonde
    Aux flots bleus et bruns,

    Comme un navire qui s'éveille
    Au vent...

  • De ce ciel bizarre et livide,
    Tourmenté comme ton destin,
    Quels pensers dans ton âme vide
    Descendent ? Réponds, libertin.

    - Insatiablement avide
    De l'obscur et de l'incertain,
    Je ne geindrai pas comme Ovide
    Chassé du paradis latin.

    Cieux déchirés...