Le Vaincu

 
Tout ce que la clarté peut engendrer de foudre,
Tout ce que l'Eternel a de colère en lui,
Dans un immense éclair venait de se résoudre.

Champ des premiers combats, le chaos ébloui
Avait porté le duel resplendissant des Anges,
Et Lucifer tombait pour n'avoir pas dit : oui.

Dans une profondeur de flammes et de fanges
S'obscurcissait l'antique égal des astres d'or,
L'aïeul des révoltés, inhabile aux louanges.

Trop avant dans l'abîme acharnant leur essor,
Deux Chérubins hâtaient la fuite de sa gloire ;
Mais le vaincu lutta dans sa défaite encor.

Il vainquit ! joie unique en l'infini déboire !
Sur les deux serviteurs du maître contesté
Plana, démesuré drapeau, son aile noire !

L'un des Chérubins dit : « Puisque tu m'as dompté,
« Puisqu'en nous le divin triomphe a laissé prendre
« Un instant de victoire à son éternité :

« Eteins notre lueur sidérale en ta cendre,
« Et, le cœur consolé par de communs tourments,
« Dans ta chute avec toi force-nous à descendre. »

Autour de lui, les siens, dans ces mornes moments,
Les fils de son orgueil, les aiglons de son aire,
Tombaient, brûlés d'éclairs et de foudre fumants,

Lui-même, expiateur marqué par le tonnerre,
Il se voyait le long des temps illimités
Traîner un désespoir mille fois centenaire !

Il saurait l'infernal amour des cieux quittés,
Et du jour, dans la nuit, le souvenir acerbe...
« Anges, dit-il, ouvrez votre aile, et remontez ! »

Alors les cieux vainqueurs frémirent ! O doux verbe !
O grandeur du premier maudit, compatissant !
Les serviteurs du Trône, émus dans leur superbe,

Interrogeaient les yeux troublés du Tout-Puissant.

Collection: 
1861

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