Le Sommeil de Canope

 
Accoudés sur la table et déjà noyés d’ombre,
Du haut de la terrasse à pic sur la mer sombre,
Les amants, écoutant l’éternelle rumeur,
Se taisent, recueillis devant le soir qui meurt.
Alcis songe, immobile et la tête penchée.
Canope avec lenteur de lui s’est rapprochée
Et, lasse, à son épaule a laissé doucement
Comme un fardeau trop lourd glisser son front charmant.
Tout s’emplit de silence... Au fond des cours lointaines
On entend plus distinct le sanglot des fontaines ;
Par endroits sur le port une lumière luit ;
Et l’étrange soupir qui monte vers la nuit,
Mystérieux aveu du cœur profond des choses,
Ce soir, se fait plus doux de passer sur les roses.
Alcis songe... Et la paix immense, la douceur
Nocturne, l’infinie et calme profondeur,
Le croissant et l’étoile, à sa base, qui tremble,
Et la mer murmurante, et cette enfant qui semble,
Avec son cou sur lui renversé sans effort,
Comme morte d’amour parmi ses cheveux d’or,
Tout l’exalte ! Une lente et solennelle ivresse
Semble élargir jusqu’aux étoiles sa tendresse !
Frémissant, il se penche et contemple un long temps
Le front uni voilé par les cheveux flottants,
Et la bouche de rose où luit l’émail des dents,
Et le beau sein qu’un rythme égal et lent soulève...
Des feuillages au loin bruissent... La nuit rêve...
Alcis, les yeux au ciel, avec un lent baiser
Sur la bouche a laissé son âme se poser ;
Et tout à coup son cœur semble en lui se briser !
Car il le sent, jamais, jamais plus dans sa vie,
Il ne retrouvera l’adorable accalmie,
La nuit et le silence, et cette mer amie,
Et ce baiser, dans l’ombre, à Canope endormie.

Collection: 
1878

More from Poet

  • En juillet, quand midi fait éclater les roses,
    Comme un vin dévorant boire l?air irrité,
    Et, tout entier brûlant des fureurs de l?été,
    Abîmer son coeur ivre au gouffre ardent des choses.

    Voir partout la vie, une en ses métamorphoses,
    Jaillir ; et l?Amour, nu comme...

  • Mon coeur est un beau lac solitaire qui tremble,
    Hanté d'oiseaux furtifs et de rameaux frôleurs,
    Où le vol argenté des sylphes bleus s'assemble
    En un soir diaphane où défaillent des fleurs.

    La lune y fait rêver ses pâleurs infinies ;
    L'aurore en son cristal baigne...

  • Partout la mer unique étreint l'horizon nu,
    L'horizon désastreux où la vieille arche flotte ;
    Au pied du mât penchant l'Espérance grelotte,
    Croisant ses bras transis sur son coeur ingénu.

    Depuis mille et mille ans pareils, le soir venu,
    L'Ame assise à la barre,...

  • Oh ! Écoute la symphonie ;
    Rien n'est doux comme une agonie
    Dans la musique indéfinie
    Qu'exhale un lointain vaporeux ;

    D'une langueur la nuit s'enivre,
    Et notre coeur qu'elle délivre
    Du monotone effort de vivre
    Se meurt d'un trépas langoureux.

    ...

  • Les désespoirs sont morts, et mortes les douleurs.
    L'espérance a tissé la robe de la terre ;
    Et ses vieux flancs féconds, travaillés d'un mystère,
    Vont s'entr'ouvrir encor d'une extase de fleurs.

    Les temps sont arrivés, et l'appel de la femme,
    Ce soir, a retenti...