Le Solitaire

 
L'aube sur le rocher lance un trait de lumière ;
L'oiseau chante avant moi : «Béni soit le Seigneur ! »
Ce nom est plus tôt dans mon cœur
Que le jour n'est dans ma paupière.

Je disais autrefois: « Que ferai-je aujourd'hui ? »
Et la gloire, et l'amour, et mes vaines pensées,
Disputaient au réveil mes heures insensées;
Mais le cœur me disait : « Tous les jours sont à lui ! »

Tous mes jours maintenant sont à lui dès l'aurore,
Ils sont à lui jusqu'au sommeil :
Celui dans qui mon cœur se lève à mon réveil,
Mon cœur, en s'endormant, en lui se couche encore.

Je ne me souviens plus quel sens avaient ces mots :
Amour qu'use le temps, gloire qu'un jour efface,
Espoir qui nous trahit, volupté qui nous lasse ;
Ils n'ont pas dans mon âme imprimé plus de trace
Que le nuage sur les flots.
Ils sont à mon oreille une langue étrangère
Qu'on entend résonner et qu'on ne comprend pas,
Et j'ai même oublié l'impression légère
Qu'ils faisaient sur mon cœur quand j'étais d'ici-bas.

Ah ! qu'une seule idée à sa source élancée
Fait franchir de distance â l'âme qui la suit!
Qu'un seul rayon d'en haut éclaire de pensée !
Le jour diffère moins des ombres de la nuit,
Et le couchant, Seigneur, est moins loin de l'aurore,
Que l'âme qui t'adore
De- l'âme qui te fuit.

Depuis que, des mortels abandonnant la scène,
J'ai rejeté le pain dont leurs cœurs sont nourris,
Mes cheveux ont blanchi comme le tronc du chêne,
En rides sur mon front mes jours se sont écrits,
Et les ans, lourds anneaux ajoutés à ma chaîne,
Ont courbé sous leur poids mes membres amaigris.
Mais je n'ai pas compté combien de fois la terre
A respiré d'en haut le souffle du printemps,
Combien de fois sur mon roc solitaire
L'aigle a changé sa plume et le chêne ses glands.
A mon âme, ô mon Dieu, de toi seul possédée,
Que sert un temps écrit ? que sert un jour compter
Tous les temps n'ont qu'un jour à qui n'a qu'une idée :
Celui qui vit en toi date en éternité!
 
Le silence et la solitude
De leur rouille ont usé mes sens ;
Mon oreille des sons a perdu l'habitude ;
Ma bouche pour parler cherche en vain des accents ;
Mon corps courbé par la prière,
Insensible au soleil, aux hivers endurci,
Est aussi rude que la pierre
Que mes pieds nus foulent ici.

Mais le sens qui t'adore a grandi dans mon âme,
C'est le seul désormais dont ma vie ait besoin;
Il voit, il sent, il touche, il entend, il proclame
Les choses de plus haut et son Dieu de plus loin !
Pour s'élever à toi mon aile est plus rapide,
Mon esprit plus muet en toi s'anéantit !
Ainsi plus le temple est vide,
Plus l'écho sacré retentit !

 
L'aube sur le rocher lance un trait de lumière ;
L'oiseau chante avant moi : «Béni soit le Seigneur ! »
Ce nom est plus tôt dans mon cœur
Que le jour n'est dans ma paupière.

Je disais autrefois: « Que ferai-je aujourd'hui ? »
Et la gloire, et l'amour, et mes vaines pensées,
Disputaient au réveil mes heures insensées;
Mais le cœur me disait : « Tous les jours sont à lui ! »

Tous mes jours maintenant sont à lui dès l'aurore,
Ils sont à lui jusqu'au sommeil :
Celui dans qui mon cœur se lève à mon réveil,
Mon cœur, en s'endormant, en lui se couche encore.

Je ne me souviens plus quel sens avaient ces mots :
Amour qu'use le temps, gloire qu'un jour efface,
Espoir qui nous trahit, volupté qui nous lasse ;
Ils n'ont pas dans mon âme imprimé plus de trace
Que le nuage sur les flots.
Ils sont à mon oreille une langue étrangère
Qu'on entend résonner et qu'on ne comprend pas,
Et j'ai même oublié l'impression légère
Qu'ils faisaient sur mon cœur quand j'étais d'ici-bas.

Ah ! qu'une seule idée à sa source élancée
Fait franchir de distance â l'âme qui la suit!
Qu'un seul rayon d'en haut éclaire de pensée !
Le jour diffère moins des ombres de la nuit,
Et le couchant, Seigneur, est moins loin de l'aurore,
Que l'âme qui t'adore
De- l'âme qui te fuit.

Depuis que, des mortels abandonnant la scène,
J'ai rejeté le pain dont leurs cœurs sont nourris,
Mes cheveux ont blanchi comme le tronc du chêne,
En rides sur mon front mes jours se sont écrits,
Et les ans, lourds anneaux ajoutés à ma chaîne,
Ont courbé sous leur poids mes membres amaigris.
Mais je n'ai pas compté combien de fois la terre
A respiré d'en haut le souffle du printemps,
Combien de fois sur mon roc solitaire
L'aigle a changé sa plume et le chêne ses glands.
A mon âme, ô mon Dieu, de toi seul possédée,
Que sert un temps écrit ? que sert un jour compter
Tous les temps n'ont qu'un jour à qui n'a qu'une idée :
Celui qui vit en toi date en éternité!
 
Le silence et la solitude
De leur rouille ont usé mes sens ;
Mon oreille des sons a perdu l'habitude ;
Ma bouche pour parler cherche en vain des accents ;
Mon corps courbé par la prière,
Insensible au soleil, aux hivers endurci,
Est aussi rude que la pierre
Que mes pieds nus foulent ici.

Mais le sens qui t'adore a grandi dans mon âme,
C'est le seul désormais dont ma vie ait besoin;
Il voit, il sent, il touche, il entend, il proclame
Les choses de plus haut et son Dieu de plus loin !
Pour s'élever à toi mon aile est plus rapide,
Mon esprit plus muet en toi s'anéantit !
Ainsi plus le temple est vide,
Plus l'écho sacré retentit !

Collection: 
1810

More from Poet

  • Sur les ruines de Rome.

    Un jour, seul dans le Colisée,
    Ruine de l?orgueil romain,
    Sur l?herbe de sang arrosée
    Je m?assis, Tacite à la main.

    Je lisais les crimes de Rome,
    Et l?empire à l?encan vendu,
    Et, pour élever un seul homme,
    L?univers si bas...

  • Ainsi, quand l'aigle du tonnerre
    Enlevait Ganymède aux cieux,
    L'enfant, s'attachant à la terre,
    Luttait contre l'oiseau des dieux;
    Mais entre ses serres rapides
    L'aigle pressant ses flancs timides,
    L'arrachait aux champs paternels ;
    Et, sourd à la voix...

  • (A un poète exilé)

    Généreux favoris des filles de mémoire,
    Deux sentiers différents devant vous vont s'ouvrir :
    L'un conduit au bonheur, l'autre mène à la gloire ;
    Mortels, il faut choisir.

    Ton sort, ô Manoel, suivit la loi commune ;
    La muse t'enivra de...

  • A Mme de P***.
    Il est pour la pensée une heure... une heure sainte,
    Alors que, s'enfuyant de la céleste enceinte,
    De l'absence du jour pour consoler les cieux,
    Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux.
    On voit à l'horizon sa lueur incertaine,
    Comme les...

  • C'est une nuit d'été ; nuit dont les vastes ailes
    Font jaillir dans l'azur des milliers d'étincelles ;
    Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni,
    Permet à l'oeil charmé d'en sonder l'infini ;
    Nuit où le firmament, dépouillé de nuages,
    De ce livre de feu rouvre...