« Par son éclat mystique et sa douce puissance,
La poésie est sœur de la sainte éloquence ;
L’une et l’autre, unissant la lumière à l’ardeur,
En éclairant l’esprit, électrisent le cœur !
O frère, que de fois, sous ton souffle oratoire,
Poète, j’ai senti tressaillir l’auditoire ;
Et saisi de terreur, ou d’amour attendri,
Dans mon émotion prêt à jeter un cri, —
J’ai cru, dans tes accents qu’inspirait la prière,
Entendre encor vibrer la voix de Lacordaire !
Et dans chaque parole, à l’extatique élan,
Sentir battre d’amour le cœur de Ravignan ! —
Courage ! jeune apôtre, aussi grand par ton zèle
Que par ta charité, féconde, universelle ;
Courage ! jeune prêtre, aussi ferme que doux : —
Dieu, pour nous enflammer, t’envoya parmi nous !
Détaché de la terre, autant que de soi-même,
Le prêtre est comme l’Ange, et c’est Dieu seul qu’il aime.
Cosmopolite errant par son apostolat,
Il puise l’héroïsme au sein du célibat.
Loin des foyers étroits, son âme se dilate ;
Comme la foudre au ciel, son éloquence éclate !
Elu par le Pontife, il est l’homme de Dieu ;
Son céleste pouvoir est le même en tout lieu ;
Comme un linceul de neige, il a revêtu l’aube ;
Orphelin, pour patrie il adopte le globe !
Sans famille charnelle et sans postérité,
Son amour virginal étreint l’humanité !
Dans sa sainte folie et son pieux délire,
Il affronte la mort et sourit au martyre !
Des vertus de son Maître épanchant les parfums,
Apôtre pacifique, aux luttes des tribuns
Sa voix grave jamais ne s’est désaccordée :
C’est vers les hauts sommets que son âme est guidée !
Au tribunal sacré, dans la chaire, à l’autel,
Il exerce un pouvoir toujours surnaturel ;
Et tout illuminé d’une sereine étude,
Son esprit pour agir sort de la solitude ;
Le repos le prépare aux chocs de l’action,
Et son silence même est une instruction !
Qu’on le fête ou proscrive, il accomplit sa tâche ;
En dehors des partis, au seul Christ il s’attache ;
Et n’aimant qu’en Lui seul patrie, amis, parents,
Son bonheur est plus calme et ses regrets moins grands !
Comme un phare immobile au sein des sombres vagues,
Sa foi domine en paix tous les systèmes vagues !
Impassible, sou cœur, calmant les passions,
Dans leur marche vers Dieu, guide les nations !
Sous toute monarchie et toute république,
Le prêtre, en servant Dieu, sert la chose publique ;
En tous lieux, le pouvoir le trouve obéissant ;
Il souffre et meurt, s’il faut, — autre Christ innocent !
En son indépendance et sa mansuétude,
Il résiste à l’instinct qui meut la multitude ;
Et quand tous sont muets, saisis de lâcheté,
Il ose au peuple-roi dire la vérité !
S’il ne peut enseigner, il intercède et prie ;
Et comme il absout l’âme, il sauve la patrie !
Tour-à-tour, en son zèle, ou Moïse ou Saint Paul,
Sa bénédiction coule à flots sur le sol !
Sans aigreur, amertume ou froide raillerie,
Il désarme l’orgueil de l’hostile hérésie ;
Et, parlant à la foule avec autorité,
Montre autant de douceur qu’il a de fermeté !
Détaché des parents, du sol, et de soi-même,
Le prêtre est comme l’Ange, et c’est Dieu seul qu’il aime
Cosmopolite errant par son apostolat,
Il puise l’héroïsme au sein du célibat !
Au-dessus des partis, dans leur effervescence,
C’est pour les rapprocher qu’intervient sa puissance ;
Par sa neutralité saint arbitre de tous,
Il réunit les cœurs que l’orage a dissous !
Il oppose le calme aux fureurs de la haine ;
Et couvrant de bienfaits l’ingratitude humaine,
Il pardonne, il oublie... Ah ! c’est qu’il sait combien,
Dans le cœur le meilleur, le mal se mêle au bien !
Il a de tout amour, même le plus sincère,
Eprouvé l’inconstance et sondé la misère ;
Et ne trouvant qu’en Dieu son immuable appui,
Pour le récompenser, il n’espère qu’en Lui !
Fidèle évangéliste, incorruptible apôtre,
Expulsé d’une ville il s’en va dans une autre ;
Et quand son pied lassé heurte un seuil inhumain,
Il s’arrête et s’endort sur le bord du chemin !
Et cependant, le prêtre, exilé, solitaire,
Au doux nom de patrie, au doux nom de sa mère, —
Le prêtre sent parfois qu’il est homme toujours,
Et que l’amour de Dieu contient d’autres amours !
C’est que jamais la grâce, en sa flamme plus pure,
En exaltant le cœur, ne détruit la nature ;
Et le Verbe Incarné, l’Enfant de Bethléem,
Comme il aima sa Mère, aima Jérusalem !
Mais jamais la nature, en dominant la grâce,
Pour comprimer du cœur la généreuse audace,
Ne doit faire un instant fléchir l’apostolat
Devant le peuple armé, la famille ou l’Etat !
L’apôtre indépendant, qui de Dieu seul relève,
Pour régner ici-bas ne dépend d’aucun glaive ;
Et s’il sait obéir, sans être courtisan,
Il sait, lorsqu’il le faut, résister au tyran ;
De la force brutale il sait braver l’empire,
Et cueillir dans le sang la palme du martyre ! »
— Quand j’écrivais ces vers, ah ! je ne pensais pas,
O frère, que sur toi planait le noir trépas !
Ah ! je ne pensais pas que ta voix sans se plaindre,
Ton éloquente voix, allait sitôt s’éteindre !
Non, je ne pensais, en te disant adieu,
Que je ne devais plus te retrouver qu’en Dieu !...
Tu meurs, ô frère aimé, le jour de Sainte-Rose,
Martyr de tes pieux labeurs :
Et sur le noir cercueil qu’un peuple en deuil arrose,
Moi, je viens semer quelques fleurs !
Un sourire, en mourant, est resté sur tes lèvres ;
Tu semblais saluer le ciel...
O sombre et froide mort, combien d’enfants tu sèvres
Par un seul arrêt si cruel ! —
O prêtre bien-aimé, faut-il que je te pleure,
Avec tout un peuple attristé ;
Ou bien, dois-je envier l’éternelle demeure,
Où les anges t’ont transporté ?
Dois-je pleurer sur toi, — sur toi, frère que j’aime,
Hélas ! autant que tu m’aimais ;
Ou bien, dois-je pleurer et gémir sur moi-même,
Qui reste sans toi désormais ?
Ah ! malgré ma douleur et le deuil populaire,
Je le dis, oh ! oui, je le dis :
De ses ailes d’azur secouant la poussière,
Dans les splendeurs du paradis,
Ton âme glorieuse, avec béatitude,
Là-haut, plane et chante au milieu
De toute l’angélique et sainte multitude,
Qui forme les élus de Dieu !...
Tu meurs, ô frère aimé, le jour de Sainte-Rose ;
Ta mort, c’est l’immortalité :
Pour tes pieux travaux, reçois l’apothéose,
La gloire de l’éternité !