Le Parnasse contemporain/1876/L’Érinnys d’une mère

« Tu veux partir, ma fille ? et suivre malgré moi
Cet Étranger rusé, sans pudeur et sans foi ?
Pars, fille impie ; et vous, ô terribles Déesses,
Nocturnes, aux cheveux de serpents, vengeresses !
Suivez-la sur la nef de l’Époux triomphant,
Furieuses et plus rapides que le vent ! »

O cité de Kadmos ! Thébè, chère patrie !
Je ne repose pas sous une herbe fleurie
Dans l’urne où sont les os consumés des Aïeux.
Malheureuse ! je vins mourir en d’autres lieux.
Au bord Ausonien, près de la mer salée,
Un tertre aride pèse à ma cendre exilée.
L’Érinnys d’une mère a causé ce malheur.
Mon front se couronnait de marjolaine en fleur ;
Aux bruits harmonieux du sistre et du crotale
S’avançaient les flambeaux de Hèrè conjugale ;
Et le brodequin jaune enfermait mon pied blanc,
Une ceinture d’or pressait mon jeune flanc ;
L’Époux impatient, que la flûte convie,
Méditait dans son cœur Kypris, source de vie…
Mais, oh ! cessez vos chants : quels sont ces cris affreux ?
Les convives muets se regardent entre eux ;

Je pâlis, je frissonne… il faut bien que je meure !
Car autour de la blanche et joyeuse demeure
La sanglante Érinnys avait crié trois fois.
Érinnys d’une mère ! inexorables lois !
Je meurs… vers le bûcher, vierge encore, entraînée…
Le voilà prêt, plus tôt que le lit d’hyménée !
Érinnys d’une mère ! inévitables maux !
Que la terre Barbare est pesante à mes os !

Hélas ! très-misérable ! en partant j’osai croire
Qu’Aidès serait clément, du fond de la nuit noire,
Lui qui des prés en fleurs sur l’orageuse mer
Ravit Perséphonè si loin de Dèmètèr !

Collection: 
1971

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    Cet Étranger rusé, sans pudeur et sans foi ?
    Pars, fille impie ; et vous, ô terribles Déesses,
    Nocturnes, aux cheveux de serpents, vengeresses !
    Suivez-la sur la nef de l’Époux triomphant,
    Furieuses et plus rapides...

  • J’aime à vous évoquer dans une chaste pose,
    Debout et les doigts joints et les yeux souriants,
    Comme au temps où, rêveur injustement morose,
    Je profitais si mal de mes beaux jours fuyants.

    Ah ! je vous ai du moins présente en ma mémoire !
    Tout, depuis le nœud bleu...

  • Par ma lèvre et mes doigts ardemment désirés,
    O tout petits cheveux échappés et rebelles
    Ébauchant sur son front des boucles naturelles
    Qu’au flexible persil un Grec eût comparés !

    Debout à son miroir, de sa main si légère
    Elle prenait plaisir à vous friser encor,...

  • Aimer d’un grand amour une grande beauté
    N’est point un culte faux et te garde du blâme,
    Si ton cœur, attendri par cet amour, s’enflamme
    D’un zèle universel de sainte charité.

    La Grâce peut vouloir qu’un Ange ait emprunté
    Pour ton salut les traits d’une angélique...

  • Ne me reprochez pas, Mesdames, d’être épris
    Du chapeau printanier qu’on porte cette année ;
    Car je l’ai vu posé sur des cheveux chéris
    Et la tête que j’aime en est gaîment ornée.

    La tresse de bluets et de coquelicots,
    Qui retombe et se mêle avec la chevelure,...