Le Parnasse contemporain/1876/Au maître de Ravenswood

Maître de Ravenswood, le cheval allait vite
Dont le pied labourait les dunes, ce matin,
Lorsque du haut des monts je surpris votre fuite.

La rosée emperlait la fougère et le thym
Au bas du vieux donjon qui vous avait vu naître
Et qui vous vit alors combler votre destin.

Voici que de là-bas je crus vous reconnaître
Aux premières lueurs qui blanchirent le ciel.
Or vous avez passé très-rapidement, Maître.

Le hibou fit entendre un cri sinistre, et tel
Que le cheval, dressant ses oreilles surprises,
Redoubla de vitesse au fatidique appel.

La brume déferlait sur les montagnes grises.
Le cheval était bon, Maître, que vous montiez,
Et son sabot luttait avec l’aile des brises.

Je me sentis au cœur de poignantes pitiés
Pour vous, jeune homme, amant taciturne et sublime,
O vous parmi nous tous un des plus châtiés !

Un mauvais sort jamais ne lâche sa victime.
Le vôtre, Ravenswood, se plut à vous pousser,
De défaite en défaite, au versant d’un abîme.

Frère ! demain peut-être on me verra passer
A cette heure douteuse où l’Orient s’allume.
Mais, vers le soir, Caleb viendra-t-il ramasser

Mon dernier chant d’adieu comme à vous votre plume ?

Collection: 
1971

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