Le Parnasse contemporain/1869/Le Blasphème

Visible affreusement dans le courroux des mers,
C’est bien toi, Poséidôn ! que brave en mots amers
Ajax, le noir trident suspendu sur sa tête ;
Prométhée, appelant la foudre qui s’apprête,
A vu Zeus se dresser & les cieux obscurcis
Trembler au froncement des terribles sourcils :
Et c’est pourquoi nul temps n’effacera la gloire
De ces défis gravés dans l’humaine mémoire.
Il faut être croyant pour affronter les dieux.
Pour nous, las de créer des tyrans odieux
Et de voir l’Injustice en eux toute-puissante,
Au lieu de provoquer leur providence absente,
Nous les avons niés ; & le grand ciel béant
S’est fait vide, & les dieux sont rentrés au néant.
A ses noirs cauchemars l’Humanité ravie

Se rendort dans le songe apaisé de la vie ;
Le tombeau plus clément s’ouvre au mortel lassé.
— Seul, le poëte pense aux effrois du passé
Et parfois rêve, épris des âmes révoltées,
La grandeur du blasphème interdite aux athées.

Collection: 
1971

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