Le Médecin de campagne

     Il est loin du soleil, de l’air et des lumières,
De simples paysans cachés dans leurs chaumières,
Tristement confinés dans un sombre milieu,
Mal nourris, mal vêtus, pauvres, mais craignant Dieu,
Généreux sans emphase et de leur nécessaire
Faisant souvent deux parts et donnant la plus claire,
Bons fils, époux aimés et pères respectés.
Patriarches obscurs, sans dehors affectés
Ils gardent le secret des courages antiques
Et la tradition des vertus domestiques.

     Ce sont là de vrais saints ; j’en sais d’autres encor
Qui dans leur chair d’argile abritent un cœur d’or ;
Des sœurs de charité, de simples sœurs d’école
Dont le front en dedans est ceint d’une auréole,
D’humbles instituteurs, gais et familiers,
Plus naifs et plus purs que tous leurs écoliers,
Des vieillards indulgents, des prêtres vénérables,
Témoins toujours émus des pleurs des misérables.

     J’en prends un au hasard ; c’est notre médecin.

     Selon lui, tout écart de régime est malsain.
Mais quand se couche-t-il ? Quand se met-il à table ?
Des courriers de malheur la troupe lamentable
Assiége à tout instant sa porte. — On meurt chez nous,
C’est ma mère, monsieur le docteur, hâtez-vous.
— Tenez, c’est mon grand-père… une paralysie !
— C’est mon homme, il étouffe, on craint la pleurésie !
— Ma fille, à chaque instant, docteur, se trouve mal.
— Notre pauvre garçon est tombé de cheval,
Venez vite ; il vomit le sang à pleine bouche.
— Passez d’abord chez nous, monsieur, ma femme accouche !

     Ce soldat qu’on appelle à l’heure du péril ;
L’homme qu’on se dispute ainsi, s’appartient-il ?
Peut-il un seul instant s’accouder sur sa chaise,
Lire, écrire, penser, manger, dormir à l’aise ?
Peut-il prendre à témoins la tempête et la nuit
Pour rester au foyer qui réchauffe et qui luit ?
Cherche-t-il un problème ? il lui faut à toute heure,
Le quitter pour bercer l’humanité qui pleure.

     L’humanité qui rit l’évite, il sent la Mort.

     Au moins, voit-il au bout de son constant effort
Poindre la Renommée et briller la Fortune ?
Fortune et Renommée aux champs gardent rancune.
Elles aiment la ville où sont les charlatans,
Mais fi de la campagne ! et si, de temps en temps,
On voit venir aux champs la fortune et la vogue,
C’est chez le débitant secret de quelque drogue ;
Quant au vrai médecin, s’il guérit, c’est un dieu,
Si le malade en meurt, un sot, point de milieu ;
Il faut que son programme en tout point s’accomplisse ;
Si le mal se prolonge, il en est le complice
Ou l’impuissant témoin ; c’est presque un assassin
Et l’on s’en va quérir un autre médecin.
Reste-t-il un sorcier ? c’est lui que l’on consulte !
Mystérieux attrait de la science occulte
Au nez des Vérités dont nous nous dépitons
Nons soufflons la chandelle et marchons à tâtons.
Le médecin dit vrai, le sorcier ment ; qu’importe,
Nous aimons le menteur et frappons à sa porte.

     Va jusqu’au bout, docteur, excuse les ingrats ;
Quand à la pauvreté, déjà si rude, hélas !
S’ajoute le fardeau de la souffrance amère,
Le plus fort cède au poids de sa croix de misère,
Se couche sous le faix et roule lourdement
Dans l’abîme sans fond du découragement.
S’il revient à la vie, il reprend avec elle
Du travail obstiné la routine cruelle
Et de la maladie il ne lui reste plus
Qu’un souvenir troublé, déplaisant et confus
D’angoisse, d’épouvante et de douleur passée ;
La misère du jour absorbe sa pensée
Et, s’il attendrit ceux qu’il implore aujourd’hui,
Les bienfaiteurs d’hier sont oubliés par lui.

     Docteur, de toute dette urbaine ou campagnarde,
La faim sera toujours, hélas ! la plus criarde,
Mais du pauvre qui souffre, heureux les nourriciers !
Heureux les médecins ! heureux les créanciers !
Le pauvre est insolvable et ne fait point faillite.

     Il contracte une dette et c’est Dieu qui l’acquitte.

Collection: 
1839

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