Le jour

Levons-nous, le jour bleu colle son front aux vitres,
La note du coucou réveille le printemps,
Les rameaux folichons ont des gestes de pitres,
Les cloches de l'aurore agitent leurs battants.
La nuit laisse en fuyant sa pantoufle lunaire
Traîner dans l'air mouillé plein de sommeil encor
Et derrière les monts cachant sa face claire
Le soleil indécis darde trois flèches d'or.
Il monte. Notre ferme en est tout éblouie,
Les volets sont plus verts et le toit plus vermeil,
La crête des sapins dans la brume enfouie
S'avive de clarté. Voilà le plein soleil
Avec son blanc collier de franges barbelées,
Avec ses poudroiements de cristal dans les prés,
Avec ses flots nacrés, ses cascades brûlées,
Ses flûtes, ses oiseaux et ses chemins pourprés.
L'abeille tôt levée, attendant sa venue,
Essayait d'animer les boutons engourdis,
Dérangeait l'ordre neuf de la rose ingénue,
Pressait de toutes parts les lilas interdits.
Dès qu'elle vit au ciel fuser la bonne gerbe,
Son gorgerin blondit, son aile miroita,
Et, tandis que les fleurs se découpaient dans l'herbe,
Sur un lis qui s'ouvrait son ivresse pointa.
Quel massacre badin de vierges cachetées !
La nonnain-violette en conserve un frisson,
Les corbeilles d'argent aux blancheurs dépitées
S'inquiètent du vent rural et sans façon.
Sur l'églantine fraîche aux saveurs paysannes
Voici que les frelons éthiopiens vont choir,
Les bambous en rumeur entre-choquent leurs cannes,
Sur un brin d'amandier sifflote un merle noir.
Levons-nous. Notre chien lappe son écuelle,
Les chevaux affamés piaffent après le foin,
On entend barboter un refrain de vaisselle
Et des appels de coqs s'égosiller au loin.
Déjeunons sur le seuil de tartines miellées,
Dans nos verres en feu le soleil boit sa part,
Les arbres font danser leurs feuilles déroulées
Et teignent leurs bourgeons d'un petit point de fard.
C'est l'heure puérile où la margelle est rose,
Où la jeune campagne éclose au jour nouveau
Dans ses terrains bêchés brille comme une alose,
Où l'araignée étend son lumineux réseau.
C'est l'heure où les lapins se grisent de rosée,
Où l'enfant matinal aux gestes potelés,
Agitant le soleil de sa tête frisée ;
Rit tenant à deux mains un pesant bol de lait.
La montagne se vêt de légères buées
Et semble perdre un peu de son austérité,
Les cyprès accusant leurs grâces fuselées
Dressent des cierges verts sur l'autel de l'été.
Ô rajeunissement du réveil, ô lumière
Qui laves les noirceurs, les fanges, les chagrins,
Qui donnes des splendeurs au bourbier de l'ornière
Et mets une ombre d'or sur nos charniers humains.

Collection: 
1905

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Pourquoi crains-tu, fille farouche
De me voir nue entre les fleurs ?
Mets une rose sur ta bouche
Et ris avec moins de rougeur.
Ne sais-tu pas comme ta robe
Est transparente autour de toi
Et que d'un clair regard je vois
Ta sveltesse qui se dérobe ?...

Jusqu'au ciel d'azur gris le pré léger s'élève
Comme une route fraîche inconnue aux vivants ;
La mouillure de l'herbe et de la jeune sève

Répand dans l'air rêveur son haleine d'argent.
Sur les bords de ce pré le bouleau se balance
Avec le merisier profond dans ses...

Mais je suis belle d'être aimée,
Vous m'avez donné la beauté,
Jamais ma robe parfumée
Sur la feuille ainsi n'a chanté,
Jamais mon pas n'eut cette grâce
Et mes yeux ces tendres moiteurs
Qui laissent les hommes rêveurs
Et les fleurs même, quand je passe....

Beauté, dans ce vallon étends-toi blanche et nue
Et que ta chevelure alentour répandue
S'allonge sur la mousse en onduleux rameaux ;
Que l'immatérielle et pure voix de l'eau,
Mêlée au bruit léger de la brise qui pleure,
Module doucement ta plainte intérieure.
...

Je suis née au milieu du jour,
La chair tremblante et l'âme pure,
Mais ni l'homme ni la nature
N'ont entendu mon chant d'amour.

Depuis, je marche solitaire,
Pareille à ce ruisseau qui fuit
Rêveusement dans les fougères
Et mon coeur s'éloigne sans bruit...