Le Cycle

 
Être unique, ineffable, inaccessible, immense,
Voyageur de l’espace et du temps infinis,
Toi que nous vénérons sous tes voiles bénis,
Le monde, au jour premier, germa de ta semence.

La source qui jamais n’est lasse de jaillir,
Le pain sacré, c’est toi. Ta parole est substance.
Dans le creux de ta main palpite l’existence ;
Le futur, en tes flancs, commence à tressaillir.

Mais qui peut s’adresser à toi sans épouvante,
Père des pères, Dieu de la première fois ?
Aussi j’invoquerai ton soleil. Que ma voix
Te bénisse en lui seul, Éternité vivante...

O Ptah, qu’avant les temps l’Être unique engendra,
Salut à toi, dieu sombre, astre sans diadème
Qui dans la longue nuit forniques en toi-même
Pour lancer vers le ciel l’éclatant Ammon-Ra !

Et toi, soleil visible, émerge du mystère.
Rugis, car voici l’aube, ô terrible Lion
Qui domines le sud et le septentrion !
Viens : tes embrassements élargissent la terre.

Pure splendeur de Dieu, je t’adore, ô soleil.
Tu fais la vérité par ta seule présence,
Cœur du ciel, enfant plein de grâce et d’innocence
Qui te roules dans l’or du grand disque vermeil.

Prends forme, élance-toi du fond de l’étendue !
Déchire de tes mains le ventre maternel.
Viens, fruit de Thouëris ; parais, Maître éternel ;
Sois le fécondateur de ta mère éperdue !

Aux régions de pourpre où naît son fils ardent
Elle affermit ses pieds. Dans sa bonté profonde
Elle courbe son corps étoile sur le monde,
Et ses mains vont toucher la terre à l’occident.

Salué par le cri des grands Cynocéphales,
Surgis dans la lumière au-dessus de Memphis !
La déesse aux doux yeux protégera son fils ;
Viens, soleil, dans ta barque aux couleurs triomphales.

Mets en fête, jeune homme au sourire clément,
Les nomes, les cités, les temples de porphyre...
Ah ! tu parais enfin ; et ton svelte navire
Va flotter sur la mer céleste allègrement !

Joyeuse et bourdonnant comme une vaste ruche,
Prête au travail, l’Egypte acclame son bonheur.
Au faîte éblouissant de ta mitre, ô Seigneur,
Elle a vu frissonner les deux plumes d’autruche.

Ta royale coiffure exhale un chaud parfum.
Tu te dresses : ta chair est d’or, elle flamboie.
Taureau resplendissant, Épervier plein de joie,
Tu contiens tous les dieux et les dieux ne font qu’un !

Tu vaincras le reptile astucieux. Il rôde
Et cherche à t’enlacer : mais toi, prince des forts,
Tu dompteras celui qui se nourrit des morts,
L’abominable monstre aux yeux cerclés de fraude.

 Tu vogues dans le ciel ; tu t’avances, frappant
L’impur dont les anneaux embarrassent ta marche.
O vainqueur dans la barque, ô terrible dans l’arche,
Tu scelles pour un jour la gueule du serpent.

Tu fends le clair abîme et Thouëris te guide.
Tu brilles entouré des êtres bienheureux ;
Et rien ne te résiste, ô Mâle vigoureux,
Roi de la double force armé d’un fouet splendide !

Nous faisons retentir le sistre en ton honneur,
Beau visage par qui l’eau du Nil étincelle.
Devant toi l’encens brûle et le vin pur ruisselle,
Épanché par la main du pieux moissonneur.

Maître de la santé, souffle vivant des choses,
O créateur de tout par l’éclair de tes yeux,
Tu triomphes ! salut, ô Pharaon des dieux,
Toujours pareil à toi dans tes métamorphoses !

Jusqu’aux heures du soir tu nous enivreras,
Soleil que je bénis sous ta forme visible.
Alors tu descendras vers l’occident paisible
Où, pour te recevoir, la Terre ouvre ses bras.

Il faudra dépouiller ta tiare de flammes
Pour entrer dans la paix du monde souterrain ;
Et là, t'établissant sur un trône d’airain,
Équitable Osiris, tu jugeras les âmes.

Tu rouvriras demain la porte d’or des cieux.
Ton souffle séchera les campagnes humides ;
Et, baignant de clarté les roses Pyramides,
Tu recommenceras le cycle merveilleux.

Car éternellement ton labeur recommence,
Soleil caché, soleil du ciel, soleil des morts,
Unique et triple, ô toi le mystérieux corps
De Celui qui nous cache une splendeur immense.

Collection: 
1875

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