Le Creuset

Est-il donc devenu cet homme au vaste orgueil
             Dans sa triste métamorphose,
Si peu, si peu, si peu, qu’il n’est plus qu’une chose,
Qu’une date, qu’un nom plaqués sur un cercueil.

             Ce seul homme aujourd’hui posthume,
             Tout orné de talismans d’or,
             Hier prenait son libre essor
             Dans le duvet et sur la plume.
Il était bien servi, bien choyé ; – chaque jour
C’était à qui cherchait à lui faire la cour ;
             Un mouvement de sa prunelle
Arrêtait le travail, l’activait de plus belle :

             Des bras robustes par milliers
       Pour fabriquer le miel de son aisance
Travaillaient sans relâche, incessants pionniers
             De sa fastueuse existence.
       Autour de lui, le centre du printemps,
             De force tournait tout un monde,
Râpant à son profit, égrénant à la ronde
                                       Le Temps :
Si qu’à force d’adresse, à chaque tour de roue
De ce monde moulin cran par cran, cran par cran,
Il retirait mouture enrichissant la proue
       De son vaisseau, – chaque jour et chaque an.

             Et vous le laissez solitaire
                        Sous une pierre !
             Maintenant que sur le vallon
                        Sanglotte l’aquilon ;
Quand des salons bien chauds vous sourit la pensée,
             Et que de fatigue affaissée
Votre âme vous appelle aux grâces du logis
             Pour vous terrestre Paradis !
             Et vous le laissez solitaire
                               Sous cette pierre.
       Où dénudés, le plumage en lambeaux
             S’assembleront les noirs corbeaux ;
             Où viendra fouetter sur sa tête
                                       La tempête !
                   Où la souris des champs
             Folâtrera dans tous les sens,
             Et de façon fort deshonnête !
Où la neige étendra le froid de son manteau
                               Sur le tombeau :
             Le corbeau noir, la blanche neige
             En effet pourraient-ils savoir
       Que cette pierre est l’abri qui protége
Le sépulcre du mort, et son dernier dortoir ?
             L’ouragan, la pluie et l’orage
             Non plus que la souris sauvage
                                       De leur dédain
Ne l’épargneront pas ce tombeau, c’est certain !

             Mais, dites-vous, sous cette pierre
       Près de la mer tranquille et solitaire
             Ce n’est pas Lui que nous laissons
                        Dans ces bas fonds ;
C’est son corps seulement…..Dans des voiles funèbres
Dûment empaqueté, dûmem cloué, scellé
Où peut-il être mieux que parmi les ténèbres,
Sous le poids d’une pierre, un mort bien emballé ?
             Pour son Âme c’est autre chose,
Son Âme, c’était Lui ; donc sa vie étant close,
Il est, nous dites-vous, en un tout autre lieu
Au loin, là haut, là bas, et sans doute avec Dieu.

Plût au ciel que Nous Tous passagers d’une vie
             Où le Créateur nous convie,
Nous puissions retirer une moralité
De ce fait, à nos yeux devenu vérité,
Que nous fait voir la mort, la mort ce grand chimiste
Qui sait de son scalpel nous extirper le chiste
Des mauvaises humeurs, du terreux, de l’obscur,
Des viles passions, en un mot de l’impur :
             Alors aurait passé sur terre
             Le règne de Robert Macaire,
             Et nous aurions un jour plus pur :
Plût au ciel que Nous Tous passagers d’une vie
             Où le Créateur nous convie,
       Impartiaux, nous puissions plus souvent
             Classer l’homme de son vivant,
Et sans attendre que la mort ce grand chimiste
Ait su de son scalpel en extirper le chiste !

Collection: 
1844

More from Poet

  • Up the airy mountain, Down the rushy glen, We daren’t go a hunting For fear of little men; Wee folk, good folk, Trooping all together; Green jacket, red cap, And white owl’s feather! Down along the rocky shore Some make their home,— They live on crispy pancakes Of yellow tide-foam;...

  • A Lay of Leadenhall [A singular man, named Nathaniel Bentley, for many years kept a large hardware-shop in Leadenhall Street, London. He was best know as Dirty Dick (Dick, for alliteration’s sake, probably), and his place of business as the Dirty Warehouse. He died about the year 1809. These...

  • One evening walking out, I o’ertook a modest colleen, When the wind was blowing cool, and the harvest leaves were falling: “Is our way by chance the same? might we travel on together?” “Oh, I keep the mountain side,” she replied, “among the heather.” “Your mountain air is sweet when the days are...

  • O Lovely Mary Donnelly, it ’s you I love the best! If fifty girls were round you, I ’d hardly see the rest. Be what it may the time of day, the place be where it will, Sweet looks of Mary Donnelly, they bloom before me still. Her eyes like mountain water that ’s flowing on a rock, How clear they...

  • I Thought it was the little bed I slept in long ago; A straight white curtain at the head, And two smooth knobs below. I thought I saw the nursery fire, And in a chair well-known My mother sat, and did not tire With reading all alone. If I should make the slightest sound To show that I...