Le Credo poétique

 
L’homme, encore en extase, à sa première aurore,
Vit, au sein de l’Eden, la Poésie éclore ;
C’est la langue de l’Ange et la langue de Dieu,
La langue d’innocence et d’amour en tout lieu.
La Muse, avec le Prêtre, est gardienne de l’âme ;
Du temple intérieur elle entretient la flamme ;
Le vrai barde nous parle un langage divin ;
Le don de poésie est un don souverain, —
Mystique enivrement, chaste mélancolie,
Que le ciel nomme extase et le monde folie,
Où, parlant à la terre en un rhythme de feu,
L’homme inspiré devient l’interprète de Dieu !
Du Beau, comme du Vrai — double gloire immortelle, —
Rome, dans sa grandeur, est la VILLE ETERNELLE !
Des chefs-d’œuvre de l’Art, en ses pieux abris,
Elle seule a gardé les splendides débris !
Toujours le barde saint, que la patrie exile,
Trouve dans son amour un glorieux asile :
Expulsé de Florence, avec un lâche affront,
Rome accueillit le Dante, en couronnant son front !
  O Rome, Sainte Eglise, infaillible interprète
Des labeurs du savant et des chants du poète,
Je soumets tous mes vers, avec humilité,
Aux suprêmes arrêts de ton Autorité. —
Ah ! que n’ai-je aujourd’hui, magnifiques hommages,
L’or, l’encens et la myrrhe, apportés par les Mages ?
Que n’ai-je, pour offrande, avec un cœur soumis,
Tous les trésors divers par l’amour réunis ? —
Mais non ! l’ermite obscur, l’inculte anachorète,
Hélas ! ne peut qu’offrir l’obole du poète :
Mais pour toi, cette obole est un riche trésor ;
Elle vaut à tes yeux l’encens, la myrrhe et l’or,
Oui, la Muse toujours à Rome fut chérie,
Et, pauvre, s’abrita sous l’aile de Marie !
Mystiques paladins, les bardes d’autrefois,
Mendiants comme Homère et le doux Saint François ;
Vivant au jour le jour, allaient de ville en ville,
Dans leur enthousiasme annonçant l’Evangile !
Qu’êtes-vous devenus, fidèles héritiers
Des moines qui chantaient du temps des Chevaliers,
Quand les Arts florissants, protégés par Marie,
Ont, armés de la croix, chassé la barbarie ?
Qu’êtes-vous devenus ; ô bardes de Sion,
O célestes chanteurs ? — Quel vulgaire démon ,
Vous soufflant le blasphème, en votre frénésie,
Vous a-fait dans l’enfer traîner la Poésie ?....
O Rome, à tes arrêts je soumets tous mes vers ,
Et j’efface d’avance, avec des pleurs amers,
Ceux que ta voix condamne ! Oh ! oui, l’orthodoxie
Doit s’étendre, et s’étend, jusqu’à la poésie ;
Et si la vérité ne perd jamais ses droits,
Le poète inspiré, disciple de la croix,
Enfant plein de candeur en son obéissance,
N’admet point dans ses vers d’hérétique licence !
Non, non, jamais le Beau n’est séparé du Vrai ;
C’est le rayonnement de l’Idéal sacré ;
Et maudite la Muse infidèle, hérétique ;
La muse échevelée, à l’orgueil satanique !
Oui, malédiction , haine, opprobre infernal,
Flétrissure éternelle à l’apôtre du mal,
Qui, dans son noir délire et son apostasie,
Loin des sentiers du Bien, a suivi l’hérésie !
Anathème, anathème à ces géants d’orgueil,
Dont le souffle orageux pousse vers chaque écueil ;
A ces anges déchus, à ces foudres sonores,
Du Parnasse infernal décevants météores ! —
Achetant à tout prix la gloire et le succès,
Ils ont flatté le siècle en ses plus vils excès ;
Et lâches déserteurs, en leur haine cynique ,
Du Christ auraient voulu déchirer la tunique !....
O fiévreuse chimère, impie aveuglement,
Essor vertigineux, sombre éblouissement,
Audace sacrilège, ivresse magnétique,
Où n’entraînes-tu pas le génie hérétique !

Flamboyante comète, en son vol déréglé,
Il s’abîme et s’éteint dans un ciel désolé !
Tel un ballon, enflé de magique fluide,
Dans l’éther sulfureux erre et sombre sans guide ;
Ou tel encor, la nuit, sombrant comme un volcan ,
Eclate un grand steamer, qu’engloutit l’Océan !
De la sainte justice, ô terrible mystère :
La chute du génie épouvante la terre !
Heureux donc l’humble barde, épris du seul vrai Beau ;
Qui sur l’autel désert rallume le flambeau ;
Et du mystique amour gardant toutes les flammes,
A monter vers le ciel aide les saintes âmes !
La Forme harmonieuse est la splendeur du Vrai ;
Le poète est béni, le poète est sacré !
Pour les fleurs qu’il effeuille et les trésors qu’il donne,
Malheur à qui refuse une pieuse aumône !
Malheur à qui le chasse ou reçoit sans amour !
Oui, malheur s’il n’obtient que la haine en retour ;
Si, prompt à le blesser, prompt à le méconnaître,
On ne voit pus en lui quelque chose du Prêtre ;
Et si, dans les cites, pour ses chants les plus doux
Il n’a pu soulever qu’un vulgaire courroux !
Car, secouant alors ses poudreuses sandales,
Sur les froides cités et leurs tristes scandales,
Il ira demander aux Barbares des bois
L’amour qu’ont refusé de sauvages bourgeois !

Collection: 
1833

More from Poet

  •  
    ANTOINE CALYBITE.

    Les vierges, dans le ciel, suivant partout l’Agneau,
    Chanteront à sa gloire un cantique nouveau ;
    Ils auront, parmi tous, l’insigne privilège
    De servir à l’époux d’immaculé cortège.
      Du céleste Idéal le barde, humble de cœur,
    Peut...

  •  
    EMMANUEL.

    Je t’admire, ô ma sœur ; ton choix est le plus sage :
    La vie est un exil, et la tombe un passage ! —
    Vanité, vanité, tout n’est que vanité !
    La tristesse est le fruit de tout bonheur goûté !
    Autrefois je rêvais un avenir de gloire, —
    ...

  •  
    Les fleurs et les oiseaux, tous les êtres créés,
    Dans l’espace infini doucement gradués,
    Ne sont que les degrés, l’échelle par où l’âme
    Remonte au Centre ardent de lumière et de flamme ;
    Au Dieu, que l’œil mystique aperçoit à travers
    L’immuable beauté du...

  •  
    LA SOLITUDE RELIGIEUSE.

    Mon empire est celui de la sérénité ;
    C’est celui de l’amour et de la liberté,
    Où, soumise à la grâce, en suivant la nature,
    Dans l’ordre on voit enfin rentrer la créature ;
    Mon temple est ombragé de feuillages épais ;
    Mon...

  •  
    ANTOINE CALYBITE.

    Sur la cime ombragée, où tout seul j’ai gravi,
    Mais où d’autres bientôt, sans crainte, m’ont suivi ;
    Au-dessus des cités, que la folie agite :
    Ici, je prie en paix, j’étudie et médite !

      L’esprit bruyant et vain de ce siècle agité,...