Le Champ des morts

J’AI déjà dans mon cœur enterré mille choses,
Espoirs, rêves, désirs, croyances, fleurs écloses
Par un matin d’avril et mortes à midi.
L’art et l’amour surtout comptent là bien des tombes
Où, loin du ciel de l’aigle et du nid des colombes,
Dort ce qui fut en moi noble, pur et hardi.

Mais, tandis que l’on voit, dans tous les cimetières,
Les fleurs au pied des croix et l’herbe entre les pierres,
Qu’il y pousse de beaux feuillages toujours verts
Où, pour réjouir ceux que le cercueil recouvre,
L’âme du rossignol sous les étoiles s’ouvre,
Et de flots d’harmonie inonde l’univers ;

Mon cimetière prend ma chair après ses ronces,
L’orfraie à mes sanglots seule y fait des réponses,
L’arbre avec moi s’y tord sous un vent meurtrier.
Point d’herbe, point de fleurs. Rien que l’ombre et la boue.
Pour venir jusque-là, que nul ne se dévoue !
On n’y trouverait pas une place où prier.

  

Collection: 
1856

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I

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