Le Cap Éternité/Chant VIII

Ce rocher qui de Dieu montre la majesté,
Qui dresse sur le ciel ses trois gradins énormes,
Et verticalement divise en trois ses formes,
Il mérite trois fois son nom de Trinité.

Son flanc vertigineux, creusé de cicatrices
Et plein d’âpres reliefs qu’effleure le soleil,
Aux grimoires sacrés de l’Égypte est pareil,
Quand l’ombre et la lumière y mêlent leurs caprices.

Les bruns, les gris, les ors, les tendres violets,
À ces signes précis joignent des traits plus vagues,
Et le céleste azur y flotte au gré des vagues,
Qui dans les plis profonds dardent leurs gais reflets.

Est-ce quelque Titan, est-ce plutôt la foudre,
Qui voulut imprimer ici le mot « toujours » ?
Quels sens recèlent donc ces étranges contours ?
Pour la postérité quel problème à résoudre !

Ô Cap ! en confiant au vertige des cieux
Notre globe éperdu dans la nuit séculaire,
Le Seigneur s’est penché sur ta page de pierre,
Digne de relater des faits prodigieux.

Il a mis sur ton front l’obscur secret des causes,
Les lois de la nature et ses frémissements,
Pendant qu’elle assignait leur forme aux éléments
Dans l’infini creuset de ses métamorphoses ;

Et, scellant à jamais les arrêts du destin
Avec l’ardent burin de la foudre qui gronde,
Il a, dans ton granit, gravé le sort du monde,
En symboles trop grands pour le génie humain.

En signes trop profonds, pour que notre œil pénètre
La simple vérité des terrestres secrets,
Pendant que nous osons forger des mots abstraits
Et sonder le mystère insondable de l’être.

La Nature nous parle et nous l’interrompons !
Aveugles aux rayons de la sainte lumière,
Sourds aux enseignements antiques de la terre,
Nous ne connaissons pas le sol où nous rampons.

Nous n’avons pas assez contemplé les aurores,
Nous n’avons pas assez frémi devant la nuit,
Mornes vivants dont l’âme est en proie au vain bruit
Des savantes erreurs et des longs mots sonores !

En vain la Vérité s’offre à notre compas
Et la Création ouvre pour nous son livre :
Avides des secrets radieux qu’il nous livre,
Nous les cherchons ailleurs et ne les trouvons pas.

Nous n’avons pas appris le langage des cimes :
Nous ne comprenons pas ce que clament leur voix,
Quand les cris de l’enfer et du ciel à la fois
Semblent venir à nous dans l’écho des abîmes.

Et l’ange qui régit l’or, le rose et le bleu.
Pour nos yeux sans regard n’écarte pas ses voiles,
Quand le roi des rochers et le roi des étoiles
Nous parlent à midi dans le style de Dieu.

Collection: 
1891

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