Le Bayou Lacombe et le Lac Pontchartrain

 
Thébaïde profonde, austère solitude,
Ermitage écarté que Dieu fit pour l’étude ;
O désert du Lacombe, harmonieux séjour,
Et de l’Ange de paix et de l’Ange d’amour ;
Vaste enceinte ombragée, où, sans témoin profane,
Je suis l’étroit sentier qui mène à ma cabane ;
Où j’entends tout le jour chanter le gai moqueur,
Et se plaindre la nuit les whip-poor-wills en chœur ;
Refuge infréquenté, sauvage coin de terre,
Où je puis méditer et prier solitaire ; —
Et toi, lac Pontchartrain, bordé de lataniers,
S’ouvrant en éventails, aux souffles printaniers ;
Rivage sablonneux, où l’aigle à tête blanche,
Comme un roi, se posant sur la plus haute branche,
Laisse à l’homme et l’oiseau, ses vulgaires chasseurs,
Le rôle humiliant de sujets pourvoyeurs :
Quand l’homme suit des yeux l’aérienne proie,
Que dans son vol rapide un grain de plomb foudroie,
De son trône élevé, l’aigle, comme un éclair,
S’élance en ligne droite et la saisit dans l’air !
O lac, qui m’isolant, sous un ombrage austère, —
Dédale ténébreux, m’offris ta cyprière ;
Ta cyprière en deuil, laissant flotter aux vents
Ses humides linceuls, ses longs voiles dolents,
Où le nycticorace, anachorète sombre,
Appelle en gémissant tous les oiseaux de l’ombre ; —
Retraites du Lacombe, abris du Pontchartrain,
Vous avez vu souvent ma Muse au front serein,
Seule avec les oiseaux, venir chercher le calme,
Sous le chêne, le cèdre et l’odorant copalme ;
Vous avez vu souvent, forêts de magnoliers,
Ses pieds silencieux suivre tous vos sentiers ;
Et sa main, pour orner l’autel érémitique,
La nuit, au bord des eaux, cueillir la fleur mystique ;
La fleur éclose à l’ombre et loin de tout chemin,
Comme en un cloître obscur un cœur de séraphin ;
Vous l’avez vue... hélas ! cherchant partout ce frère,
Poète au cœur profond, rayonnant de lumière,
Poète élu de Dieu comme moi pour l’autel,
Et qui brûle d’amour pour les choses du ciel !
Ce frère, Dieu l’a pris ! — gémissante colombe,
En jetant ses adieux au désert du Lacombe,
Comme autrefois Saint Jean à Pathmos exilé,
Loin d’un refuge aimé, triste, il s’est envolé !
Mais la forêt de pins, la cellule-oratoire,
Chaque arbre, chaque fleur, garde encor sa mémoire ;
Et chaque oiseau plaintif, caché dans le cyprès,
Semble en tous ses accords exhaler mes regrets ! —
L’orage, en soulevant bien des vagues amères,
A séparé de moi les âmes les plus chères ;
Et mon cœur résigné, sans se plaindre du sort,
Dans un exil glacé n’attend plus que la mort !
O bonheurs de la terre, espoirs, vaines promesses !
Adieux si courts, suivis de si longues tristesses !
Affections d’un jour, qui germez dans la chair,
Vous ne laissez au cœur qu’un désespoir amer !
Seigneur, soyez béni ! car malgré ma tristesse,
Je sens de votre amour la sévère tendresse !
Je ne dois, je ne veux aimer que vous, Seigneur ;
Je dois, Seigneur, je veux vous donner tout mon cœur !
Pour peupler à vous seul ma sainte solitude,
Pour affranchir mon cœur de toute servitude,
Mes parents les plus chers et mes plus chers amis,
Seigneur, dans votre amour, vous me les avez pris ! ....
Ah ! bienheureux Gauthreaux, ce jeune et grave apôtre,
Dont la gloire a passé de ce monde dans l’autre ;
Bienheureux, en sa mort, l’héroïque Gauthreaux :
H a conquis le ciel dès ses premiers travaux ! ....
Ah ! bienheureux surtout, o Félix, ô mon frère,
Ton fils prenant son vol vers la céleste sphère ;
Ignorant du péché, sans souillure du mal,
Encor resplendissant de l’éclat baptismal,
Par la mort affranchi de ses terrestres langes,
Cet enfant glorieux chante au milieu des Anges ;
Pour les tiens et pour toi, dans l’éternel séjour,
Son âme se répand en prières d’amour !
Lorsque meurt un enfant, l’Eglise est sans tristesse ;
Ses hymnes de triomphe expriment l’allégresse ;
Un chaste enfant de moins, c’est un ange de plus ;
C’est un astre nouveau dans le ciel des élus !
O doux frère, à mon sort attaché dès l’enfance,
Et dès lors partageant ma joie et ma souffrance ;
O toi, dont l’amitié, cette fleur de l’amour,
Répandit son parfum dans mon calme séjour ;
Toi, dont l’étoile a lui quand le ciel était sombre ;
Toi, dont l’éclat toujours a resplendi dans l’ombre ;
Amitié de mon frère, invariable aimant,
Dans l’abandon de tous, unique dévoûment !
Amitié de Félix, parfum, lumière et flamme, —
Forte et douce vertu par qui se double l’âme !
O toi, qui fus pour moi, dans le froid abandon,
Tout ce que le cœur rêve et que l’homme a de bon ;
Que le Seigneur sur toi répande la rosée
Par qui l’âme est bénie et la terre arrosée ;
Et qu’en se répandant sur toi, sur tes enfants,
Sa bénédiction fertilise tes champs :
Oh ! oui, que le Seigneur te rende, avec largesse,
Ce que tu fis pour moi, dans l’extrême détresse !
Lorsque par tant d’amis je me vis déserté.
Toi, tu restas le même, et seul à mon côté ;
Je vis renaître en toi, — seul fidèle entre mille, —
Et le corbeau d’Elie et la biche de Oille ;
Dans le sentier étroit, qui mène à mon désert,
De tes pas j’ai souvent entendu le concert ;
Et toi seul, ô mon frère, en ta sollicitude,
As, plus qu’un peuple entier, peuplé ma solitude !
Sois donc béni, mon frère, au nom du Dieu d’amour,
Qui rend pour chaque don le centuple en retour ;
Et que Marie au ciel écoutant ma prière,
Sans cesse te protège et guide sur la terre :
Ecrit sur cette page, oh ! que ton souvenir
De la sainte amitié témoigne à l’avenir ;
Et qu’on ne dise pas, avec l’accent sceptique :
« L’amitié n’est qu’un nom, un rêve poétique ! »
Celui qui parle ainsi, celui qui n’aime pas,
Porte déjà l’enfer dans son cœur ici-bas ;
L’enfer de l’égoïsme et de l’âme glacée,
En qui jamais ne germe une grande pensée ;
Oui, ne pouvoir aimer comme l’on aime au ciel,
C’est l’enfer ici-bas, et l’enfer éternel !
  O mon frère, ô Félix, mon compagnon d’enfance,
Mou doux consolateur aux jours de la souffrance,
Que le Seigneur sur toi verse tous ses présents !
Sur toi, sur ta maison, ta famille et tes champs !

Collection: 
1833

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