La Vision du chasseur

Je parlais, je parlais, j’allais parler toujours,
Quand sur mon front sentis quelque chose d’étrange,
Et s’arrêta soudain mon orgueilleux discours.
Et puis il me sembla que j’entendais un Ange.

        L’Ange me dit : “ Si j’étais toi
        De mon temps ferais mieux l’emploi,
Qu’à critiquer de Dieu les œuvres et la loi :

        “ Ne gaspillerais pas mes peines
        À poursuivre des ombres vaines,
À vouloir réformer de Dieu les phénomènes.

        “ Ne resterais pas à cheval
        Entre le bien, entre le mal,
Mais porterais mon œil du ciel vers le fanal.

        “ L’amour, non plus ses friandises,
        D’un grand renom les gourmandises,
Ne pourraient sur mon moi jeter leurs convoitises.

        “ Je ne rongerais pas mon frein
        Comme toi pour un soin mondain.
Mais vers Dieu je prendrais un élan surhumain.

        “ Répudierais ce monde infâme
        Pour le ciel je ceindrais mon âme,
Pour la vie immortelle et sa céleste flamme.

        “ De chanter donc fais-toi l’octroi,
        Beau chanteur ! mais apprends de moi
Que bête, mouche, oiseau sont plus sages que toi ! ”

Sur un roc escarpé surplombant la montagne,
            Dominant au loin la campagne,
Un chasseur de chamois, Peau-rouge, était assis ;
Épuisé de fatigue il laissait d’aventure
            Au vent flotter sa chevelure,
Charmé de reposer ses pieds endoloris.


Ternes gisaient les monts dans un lointain bleuâtre.
            Là, de ce vaste amphithéâtre
Se déroulait le fleuve en replis tortueux,
Côtoyant les forêts à la sombre verdure,
            Tandis que montait le murmure
Bourdonnant de l’abeille, ou du ruisseau joyeux.

Tranquille il écouta ; si bien qu’il crut entendre
            Une voix si douce et si tendre,
Que l’écouteur pouvait à peine concevoir
Si l’esprit percevait, si percevait l’oreille.
            Jamais une mère qui veille
Son enfant au berceau n’eut plus doux chant d’espoir.

La voix lui dit : “ Chasseur brisé de lassitude
            À tes pieds est la quiétude ;
Vois poindre devant toi la terre du repos,
Là sont tous tes aimés, attendant ta venue
            Pour t’y faire la bienvenue,
Et t’y faire oublier qu’il fut pour toi des maux ! ”

Lors il leva les yeux, et vit dans l’atmosphère
            Briller, juste entre ciel et terre,
Une fraîche oasis, splendide région !
Comme si du midi les vapeurs et la brume
            Avaient amassé leur écume
Pour photographier ainsi l’illusion.

Des bosquets sous ses yeux étalent leur ombrage,
            Et des coteaux leur fascinage ;
La fontaine jaillit sous de sombres berceaux
Où la biche à pas lents vient et se désaltère .
            La feuille au vent bruit légère,
Et tout en scintillant gazouillent les ruisseaux.

Voilà des amis morts bien chers à son enfance
            Qui se promènent en silence ;
Et puis une jadis noble orgueil du hameau ;
Ainsi qu’une colombe elle était douce et belle,
            Que de pleurs il versa sur elle
Depuis le jour où froide elle est dans le tombeau :


Elle accourt folâtrant en dévorant l’espace
            Pour arriver jusqu’à sa place,
Étend la main vers lui, l’appelle par son nom,
Avec ce gai visage, avec ce doux sourire,
            Dont irrésistible est l’empire,
Et le chasseur soudain se penche, et perd l’aplomb :

Il se penche en avant, et puis de chute en chute
            Hélas ! en moins d’une minute
Il vît abîmes, rocs, passer devant ses yeux ;
Et puis plus rien, plus rien, plus rien que le silence ;
            Le rêve finit l’existence,
L’existence le rêve, – et tout rit sous les cieux !

Petite et gente fleur, au contour cramoisi
Pourquoi me rencontrer en cette heure fatale ?
           Sans le vouloir je viens ici,
     De t’écraser jusqu’au dernier pétale ;
Et ne puis maintenant malgré mon désespoir,
Joli bijou ! te rendre à la vie… à l’espoir !

Aujourd’hui ce n’est plus comme c’était hier,
La joyeuse alouette alors de ta corolle
           Sous sa patte, au souffle de l’air
Faisait gaiement ployer la brillante auréole,
Lorsque de la nature épiant le réveil
Elle montait – montait saluer le soleil.

Sur ton nid de verdure a soufflé dès l’abord
De ses torrents de pluie, et de sa froide haleine
           L’âpre bise du vent du nord,
Cependant tu naquis au milieu de la plaine
Joyeusement, narguant la voix de l’ouragan,
En crévassant le sol par un subit élan,

Collection: 
1814

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