La Fille de l’Émyr


Un beau soir revêt de chaudes couleurs
Les massifs touffus pleins d’oiseaux siffleurs
Qui, las de chansons, de jeux, de querelles,
Le col sous la plume, et près de dormir,
Écoutent encor doucement frémir
          L’onde aux gerbes grêles.

D’un ciel attiédi le souffle léger
Dans le sycomore et dans l’oranger
Verse en se jouant ses vagues murmures ;
Et sur le velours des gazons épais
L’ombre diaphane et la molle paix
          Tombent des ramures.

C’est l’heure où s’en vient la vierge Ayscha
Que le vieil Émyr, tout le jour, cacha
Sous la persienne et les fines toiles,
Montrer, seule et libre, aux jalouses nuits,
Ses yeux, charmants, purs de pleurs et d’ennuis,
          Tels que deux étoiles.

Son père qui l’aime, Abd-El-Nur-Eddin,
Lui permet d’errer dans ce frais jardin,
Quand le jour qui brûle au couchant décline
Et, laissant Cordoue aux dômes d’argent,
Dore, à l’horizon, d’un reflet changeant,
          La haute colline.

Allant et venant, du myrte au jasmin,
Elle se promène et songe en chemin.
Blanc, rose, à demi hors de la babouche,
Dans l’herbe et les fleurs brille son pied nu ;
Un air d’innocence, un rire ingénu
          Flotte sur sa bouche.

Le long des rosiers elle marche ainsi.
La nuit est venue, et, soudain, voici
Qu’une voix sonore et tendre la nomme.
Surprise, Ayscha découvre en tremblant
Derrière elle, calme et vêtu de blanc,
          Un pâle jeune homme.

Il est noble et grand comme Gabriel
Qui mena jadis au septième ciel
L’envoyé d’Allah, le très saint Prophète.
De ses cheveux blonds le rayonnement
L’enveloppe et fait luire chastement
          Sa beauté parfaite.

Ayscha le voit, l’admire et lui dit :
— Jeune homme, salut ! Ton front resplendit
Et tes yeux sont pleins de lueurs étranges.
Parle, tous tes noms, quels sont-ils ? Dis-les.
N’es-tu point khalife ? As-tu des palais ?
          Es-tu l’un des anges ? —

Le jeune homme alors dit en souriant :
— Je suis fils de roi, je viens d’Orient ;
Mon premier palais fut un toit de chaume,
Mais le monde entier ne peut m’enfermer.
Je te donnerai, si tu veux m’aimer,
          Mon riche royaume.

— Oui, dit Ayscha, je le veux. Allons !
Mais comment sortir, si nous ne volons
Comme les oiseaux ? Moi, je n’ai point d’ailes ;
Et, sous le grand mur de fer hérissé,
Abd-El-Nur-Eddin, mon père, a placé
          Des gardes fidèles.

— L’amour est plus fort que le fin acier.
Mieux que sur les monts l’aigle carnassier,
Et plus haut, l’amour monte et va sans trêve.
Qui peut résister à l’amour divin ?
Auprès de l’amour, enfant, tout est vain
          Et tout n’est qu’un rêve ! —

Maisons, grilles, murs, rentrent dans la nuit ;
Le jardin se trouble et s’évanouit.
Ils s’en vont tous deux à travers la plaine,
Longtemps, bien longtemps, et l’enfant, hélas !
Sent les durs cailloux meurtrir ses pieds las
          Et manque d’haleine.

— Ô mon cher seigneur, Allah m’est témoin
Que je t’aime, mais ton royaume est loin !
Arriverons-nous avant que je meure ?
Mon sang coule, j’ai bien soif et bien faim ! —
Une maison noire apparaît enfin.
          — Voici ma demeure.

Mon nom est Jésus. Je suis le pêcheur
Qui prend dans ses rets l’âme en sa fraîcheur.
Je t’aime, Ayscha ; calme tes alarmes ;
Car, pour enrichir ta robe d’hymen,
Vois, j’ai recueilli, fleur de l’Yémen,
          Ton sang et tes larmes !

Tu me reverras du cœur et des yeux,
Et je te réserve, enfant, dans mes cieux,
La vie éternelle après cette terre ! —
Parmi les vivants morte désormais,
La vierge Ayscha ne sortit jamais
          Du noir monastère.

Collection: 
1889

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