La Conversion

 
SYLVIA.

Puisque pour le chrétien la vie est un combat,
Notre plus forte armure est dans le célibat ;
Affranchi de la chair, heureux le vierge athlète,
L’ange contemplatif qui vit dans la retraite ;
Heureux l’homme de Dieu !...

                                         Mon Père, écoutez-moi ;
En toute humilité, je m’accuse avec foi ;
Devant vous, devant Dieu, je m’accuse, ô mon Père : —
De mes jours douloureux que l’histoire est amère !
Le malheur m’arracha de mon humble berceau,
Placé près d’un grand fleuve et d’un faible ruisseau ;
Le steam-boat mugissant me prit, — si frêle encore, —
Et promena mon sorf du Couchant à l’Aurore ;
Et, jouet du destin, jouet de l’ouragan,
Mon enfance flotta vers un sombre océan ;
Et sans aucun ami, comme l’algue marine,
Sur un sol inconnu j’abordai pèlerine ;
J’abordai sur la rive, où l’homme, au bord des eaux,
Dispute au crocodile un lit dans les roseaux ;
Et je vis l’Occident, aux immenses savanes,
Les lieux embarrassés d’herbes et de lianes,
La fertile Vallée, occidental jardin,
Qu’arrose, dans son cours, le Nil Américain ;
Où la douce nature, en son exubérance,
Offre au pauvre orphelin une inculte abondance ;
Nature âpre et sauvage, aux refuges secrets,
Qu’ombragent de leur deuil les funèbres cyprès ;
Nature austère et belle, où Dieu parait plus grand,
Et qui semble un Eden au cœur de l’immigrant ;
Où l’on entend le soir, plaintifs anachorètes,
Les whip-poor-wills chanter dans leurs sombres retraites ;
Et là, je vivais seule ; et dès lors, je rêvais
De talent et de gloire et d’héroïques traits ;
Et j’explorais les bois ; je cherchais, dans mes courses,
Le chaste et froid cristal des solitaires sources ;
J’allais tremper mon cœur dans les larmes des lys ;
Je portais dans mon sein ceux que j’avais cueillis. —
Et bientôt, j’éprouvais une vague agonie ;
Dans la précocité de mon ardent génie,
Poète, j’admirais Milton, Moore et Byron ;
Mais ils ont assombri mon brillant horizon ;
De rêves agités ils ont peuplé ma route ;
Ils ont mis dans mon âme un germe de leur doute...
Lasse d’une existence où, flétri par le mal,
Chaque espoir de bonheur portait son fruit fatal,
Il me semblait parfois que j’étais attirée
Par l’invisible Esprit d’une sphère éthérée.
Dans un monde inconnu, qu’interdisait la foi,
J’aurais voulu planer palpitante d’effroi ;
Et dans le désespoir d’un funèbre délire,
Evoquer la Magie en son occulte empire !
Qu’ai-je fait ? sans terreur, profanant les tombeaux,
Des morts dans leur sommeil j’ai troublé le repos ;
Par l’espoir m’égarant sur l’aile du vertige,
J’ai suivi loin de Dieu l’éclat d’un faux prodige !
Oui, croyant m’élever, dans un mystique élan,
J’ai descendu, captive, ainsi que le milan
Qui tournoie ébloui par le reptile avide,
Dont l’œil fascinateur rayonne de fluide !
Oh ! que n’ai-je toujours, n’aimant que le Seigneur,
De son amour goûté le tranquille bonheur ?
Que n’ai-je rencontré, dès mon enfance, un guide ;
Un ami, selon Dieu, qui m’eût servi d’égide ? —
Mais, sans guide, et livrée à mon cœur orageux,
Je voyais devant moi le monde nuageux ;
Un voile s’abaissait sur toutes mes idées ;
Mes folles passions n’ont plus été bridées...
La chute, les regrets, l’amertume du mal,
Les remords ont terni mon éclat virginal ;
Et le noir désespoir, dans mon âme si vide,
Se dressa tout-à-coup comme un spectre livide !..
Que le Démon trompeur nous prodigue d’ennuis !
Que les jours qu’il nous donne ont de terribles nuits !
Que tes fruits sont amers, arbre de la science !
Et qu’il est doux d’aimer Dieu seul, dès son enfance l —
Un jour, — j’avais alors, mon Père, dix-huit ans, —
Je priais : Dieu fixa mes destins inconstants ;
Une clarté céleste illumina mon âme ;
Je sentis de l’amour l’ardente et sainte flamme ;
Je vis briller en moi l’image d’Augustin :
Alors, tout mon passé, dès mon âge enfantin,
Tous mes péchés, écrits sur des pages funèbres,
Tout m’apparut soudain, éclairant mes ténèbres !
Et je sentis, au fond de mon cœur oppressé,
Se former et monter, l’un par l’autre poussé,
Chaque flot de douleur, chaque flot d’amertume !
Et je sentis ce feu, qui pénètre et consume ;
Ce feu du repentir presque égal à l’amour !
L’inviolable aveu, je le fis dès ce jour ; —
Et je ressuscitai ! — C’est alors qu’entraînée,
Ou plutôt, par instinct suivant ma destinée,
J’entrai dans une église ; et que là j’entendis
Une voix qui chantait le Ciel, le Paradis ;
Une voix qui, semblable au chœur sacré des Anges,
De Marie, en sa gloire, entonnait les louanges ;
Marie Immaculée et Reine de Sion,
Triomphant de la mon en son Assomption !
L’orgue, l’encens, les voix, dans la maison bénie,
Semblaient ne plus former qu’un fleuve d’harmonie ! —
Et j’écoutais chanter les splendeurs de Sion ;
A chaque mot, mon cœur vibrait à l’unisson ;
Je conçus le désir d’être héroïque et chaste ;
Je me sentis plus forte et plus enthousiaste !
Dans ces premiers élans de générosité,
Je fis, devant l’autel, le vœu de chasteté ;
Je le fis librement, par Dieu même inspirée ;
Je le fis avec joie, en ma ferveur sacrée —
Après cinq ans, je vins, et j’entendis encor
La même voix chanter dans un pieux transport :

La terre est triste. elle a perdu sa Mère ;
Mais dans le ciel chantent les chérubins !
Vierge, en quittant les vallons de la terre,
Oh ! souviens-toi de tes fils orphelins !

Je vois briller les célestes phalanges,
J’entends chanter des cantiques divins :
Mère, exaltée au-dessus des Archanges,
Oh ! souviens-toi de tes fils pèlerins !

Tout radieux, pour recevoir Marie,
S’élève un trône aux palais étoiles :
Reine immortelle, en paix dans la Patrie,
Oh ! souviens-toi de tes fils exilés !....

Mais écoutez, mon Père : une douleur nouvelle
Accable encor mon âme ; oui, je pleure infidèle ;
Je pleure amèrement tout le bonheur perdu !
Comme Eve, j’ai cueilli le beau fruit défendu ;
Je l’ai goûté comme elle, — et j’ai souffert plus qu’elle !
Je pleure amèrement, car je suis infidèle !

ANTOINE CALYBITE.

Réparez votre faute, imitez Augustin,
Faites ce qu’il a fait, soyez un séraphin !
 
SYLVIA.

Augustin n’a jamais souffert ce que je souffre ! —
Pardonnez-moi, mon père ! un insondable gouffre
Est ouvert devant moi ; mon cœur est effrayé
Du chemin tortueux que Satan m’a frayé !
Le monde, les parents, les faux biens m’ont séduite,
Et le salut pour moi n’est plus que dans la fuite !
Je le sens, un nuage obscurcit mon esprit ;
Je n’aime plus ! je tremble au nom de Jésus-Christ ?
Mais comment arracher l’épine douloureuse ?
La grâce a déserté mon âme ténébreuse !
De Madeleine en pleurs, ayez compassion !

ANTOINE CALYBITE.

L’amour, le repentir et la confession,
C’est le divin remède aux douleurs de votre âme ;
C’est le baume sacré, le céleste dictame : —
Aimez donc, et pleurez : une larme est assez
Pour faire pardonner tous les péchés passés !

SYLVIA.

J’aime, — je me repens, — je pleure et m’humilie !
Je le confesse enfin : L’orgueil est ma folie !
Oui, le respect humain, la honte, un lâche orgueil,
M’ont brisée à la fin contre un sinistre écueil ! —
J’ai rougi de Marie, en ma faiblesse extrême ;
J’ai rougi de mon Dieu ; j’ai rougi de moi-même ! —
De reine devenue esclave du démon,
Perdant ma royauté, j’ai dû changer de nom ;
Devant un Maître et Juge irrité, je m’incline....

ANTOINE CALYBITE.

Espérez, mon enfant : l’humilité divine
Attire les pardons et les grâces du ciel,
Et change l’amertume en doux rayons de miel. —
Oubliez le passé, l’avenir vous appelle ;
L’avenir vous réserve une gloire nouvelle !

SYLVIA.

Des lumières du ciel, des faveurs de Jésus ;
O perte irréparable, ô formidable abus !
Quand l’âme, en son péché, pour retourner au monde,
Tombe du haut des cieux, — que sa chute est profonde ! —
O mon père ! est-il vrai, puis-je encore espérer ?
Ce profane passé, puis-je assez le pleurer ?

 
ANTOINE CALYBITE.

Le repentir peut tout, au tribunal suprême ;
Le baptême des pleurs vaut le premier baptême ! —
Madeleine éplorée, Augustin repentant,
De leur éclat divin éblouirent Satan ;
Et vous pouvez aussi, plus jeune et moins coupable,
Vous pouvez l’éblouir d’une gloire ineffable,
Ecraser son orgueil sous votre humilité,
Et ressaisir les droits de votre royauté !....
Repentante, abaissez votre front dans la poudre :
Au nom du Dieu d’amour, j’ai le pouvoir d’absoudre !

SYLVIA.

Mon père . me voilà ; — je viens, le cœur broyé
Par la contrition et dans les pleurs noyé !
Confuse, anéantie, et n’osant, dans ma peine,
Nommer du nom d’Époux celui qui me ramène
Oh ! que j’ai de regrets de l’avoir offensé !
Dites, — comment pourrai-je expier le passé ?

ANTOINE CALYBITE.

Par la Croix ! ....

SYLVIA.

                              Par la Croix ? — j’ai tout compris, mon père !
C’est assez pour mon cœur ; je triomphe et j’espère ! —
Je l’aimerai toujours, je n’aimerai que lui :
Qui pourra m’ébranler, s’il devient mon appui ? —
Le monde est sous mes pieds ; la chair est comprimée ;
Le Démon tremble et fuit, ; c’est une femme armée,
Invincible guerrière, épouse et reine encor,
Qui reparaît brillante au sommet du Thabor !
Oui, je sens battre en moi le cœur d’une héroïne !
Oui, mon Père, je sens cette force divine,
Cet instinct d’autrefois, ce généreux esprit,
Qu’inspire au cœur brûlant l’amour de Jésus-Christ !. ..
Mes péchés, fussent-ils cent fois plus innombrables
Que les feuilles d’automne ou que les grains de sables,
Par les vents et les flots accumulés sans fin ;
Pussent-ils, plus nombreux que l’invisible essaim
D’insectes bourdonnant dans les noirs marécages,
Ou dans un ciel d’hiver les orageux nuages ;
Eussent-ils, dans leur nombre et dans leur gravité,
Sondé l’abîme impur de toute iniquité,
Tout ce qu’eu sa folie ose tenter la femme :
Jamais le désespoir n’entrera dans mon âme !
Jamais du désespoir l’orgueil impénitent
Ne fera de mon cœur son enfer dévorant !
Seigneur, ô Dieu d’amour et de miséricorde,
Lorsqu’au pied de la Croix mon âme se récorde,
Dans la contrition, ce passé ténébreux
Où j’adorais le vice et le Démon affreux, —
Je comprends mon néant, je connais ma misère,
Je mesure l’offense à la douleur amère ;
Je sais par mes remords et par mon repentir,
Par ce qu’un seul péché m’a déjà fait souffrir ;
Je sens ce qu’il contient d’infernale malice :
Mais la miséricorde, et le prix du Supplice,
Le prix du Sang divin versé pour nous sauver,
L’amour du Rédempteur, — qui peut le mesurer ?..
Qui peut désespérer, quand la voix de la Mère
Et quand la voix du Fils disent ensemble : Espère /
Qui peut désespérer, quand Marie a promis
Qu’elle peut obtenir tout pardon de son Fils ?
Fussé-je la dernière et plus coupable femme,
Jamais le désespoir n’entrera dans mon âme !
Jusqu’à mon lit de mort, jusqu’au seuil du tombeau,
Je verrai luire encor l’espoir comme un flambeau ;
Je verrai luire au ciel sa divine lumière ;
Oui, le céleste espoir fermera ma paupière !
Et quand pour le crier, je manquerai de voix,
Mon cœur dira tout-bas : j’aime, j’espère et crois !

Ah ! le repentir sincère
Nous donne d’amers dégoûts
Pour les bonheurs de la terre,
Qui nous ont semblé si doux !....

Adieu, mensonges du monde !
O pompeuses vanités,
Qui, rapides comme l’onde,
Roulez tant d’impuretés !

Salut, ô douce cellule,
Où je puis gémir en paix,
Loin du souffle qui nous brûle,
Dans le monde et ses palais !

Sous les ailes de Marie,
Je trouverai la fraîcheur ;
L’espérance refleurie
Viendra consoler mon cœur.

J’irai, comme Madeleine,
Comme Thaïs, de mes pleurs
Verser l’amère fontaine,
La fontaine de douleurs !

Oh ! la douce et sainte chose,
Que le calme et le repos,
Dans une cellule close,
Et dans un désert enclos !

Oh ! l’heureuse solitude
Que celle du Mont-Carmel,
Où l’âme, en sa quiétude,
Respire plus près du ciel !

Qui me donnera des ailes,
Pour que je m’envole au loin,
Et qu’avec les tourterelles
J’aille gémir sans témoin ?

Que n’ai-je un trou dans la pierre.
Pour en faire mon séjour ;
Pour y vivre de prière,
Et pour y mourir d’amour !

Dans l’ivresse la plus pure,
La mesure d’aimer Dieu,
C’est de l’aimer sans mesure,
Esclave d’un libre vœu ! —

Source de toute lumière,
Source de toute beauté,
L’âme, ici-bas prisonnière,
Trouve en lui la liberté !

L’âme, tranquille recluse,
Puise en lui la sainte ardeur,
Avec la science infuse,
Dans sa mystique splendeur !

Elle plonge dans l’essence
De l’éternelle unité,
Extatique jouissance ;
Déifique volupté !

Collection: 
1833

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