L’Offrande

 
Pour lui prouver que je l’aime plus que moi-même,
Je donnerai mes yeux à la femme que j’aime.

Je lui dirai d’un ton humble, tendre et joyeux :
« Ma très chère, voici l’offrande de mes yeux. »

Je donnerai mes yeux qui virent tant de choses.
Tant de couchants et tant de mers et tant de roses.

Ces yeux, qui furent miens, se posèrent jadis
Sur le terrible autel de l’antique Eleusis,

Sur Séville aux beautés pieuses et profanes,
Sur la lente Arabie avec ses caravanes.

J’ai vu Grenade éprise en vain de ses grandeurs
Mortes, parmi les chants et les lourdes odeurs.

Venise qui pâlit, Dogaresse mourante,
Et Florence qui fut la maîtresse de Dante.

J’ai vu l’Hellade où pleure un écho de Syrinx,
Et l’Egypte accroupie en face du grand Sphinx,

J’ai vu, près des flots sourds que la nuit rassérène,
Ces lourds vergers qui sont l’orgueil de Mytilène.

J’ai vu des îles d’or aux temples parfumés,
Et ce Yeddo, plein de vox frêles de mousmés.

Au hasard des climats, des courants et des zones,
J’ai vu la Chine même avec ses faces jaunes…

J’ai vu les îles d’or où l’air se fait plus doux,
Et les étangs sacrés près des temples hindous.

Ces temples où survit l’inutile sagesse…
Je te donne tout ce que j’ai vu, ma maîtresse !

Je reviens, t’apportant mes ciels gris ou joyeux.
Toi que j’aime, voici l’offrande de mes yeux.

Collection: 
1897

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