Je t'apporte ce soir...

Je t'apporte ce soir ma natte plus lustrée
Que l'herbe qui miroite aux collines de juin ;
Mon âme d'aujourd'hui fidèle à toi rentrée
Odore de tilleul, de verveine et de foin ;
Je t'apporte cette âme à robe campagnarde.
Tout le jour j'ai couru dans la fleur des moissons
Comme une chevrière innocente qui garde
Ses troupeaux clochetant des refrains aux buissons.
Je fis tout bas ta part de pain et de fromage ;
J'ai bu dans mes doigts joints l'eau rose du ruisseau
Et dans le frais miroir j'ai cru voir ton image.
Je t'apporte un glaïeul couché sur des roseaux.
Comme un cabri de lait je suis alerte et gaie ;
Mes sonores sabots de hêtre sont ailés
Et mon visage a la rondeur pourpre des baies
Que donne l'aubépine quand les mois sont voilés.
Lorsque je m'en revins, dans les ombres pressées
Le soc bleu du croissant ouvrait un sillon d'or ;
Les étoiles dansaient cornues et lactées ;
Des flûtes de bergers essayaient un accord.
Je t'offre la fraîcheur dont ma bouche était pleine,
Le duvet mauve encor suspendu dans les cieux,
L'émoi qui fit monter ma gorge sous la laine
Et la douceur lunaire empreinte dans mes yeux.

Collection: 
1905

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Pourquoi crains-tu, fille farouche
De me voir nue entre les fleurs ?
Mets une rose sur ta bouche
Et ris avec moins de rougeur.
Ne sais-tu pas comme ta robe
Est transparente autour de toi
Et que d'un clair regard je vois
Ta sveltesse qui se dérobe ?...

Jusqu'au ciel d'azur gris le pré léger s'élève
Comme une route fraîche inconnue aux vivants ;
La mouillure de l'herbe et de la jeune sève

Répand dans l'air rêveur son haleine d'argent.
Sur les bords de ce pré le bouleau se balance
Avec le merisier profond dans ses...

Mais je suis belle d'être aimée,
Vous m'avez donné la beauté,
Jamais ma robe parfumée
Sur la feuille ainsi n'a chanté,
Jamais mon pas n'eut cette grâce
Et mes yeux ces tendres moiteurs
Qui laissent les hommes rêveurs
Et les fleurs même, quand je passe....

Beauté, dans ce vallon étends-toi blanche et nue
Et que ta chevelure alentour répandue
S'allonge sur la mousse en onduleux rameaux ;
Que l'immatérielle et pure voix de l'eau,
Mêlée au bruit léger de la brise qui pleure,
Module doucement ta plainte intérieure.
...

Je suis née au milieu du jour,
La chair tremblante et l'âme pure,
Mais ni l'homme ni la nature
N'ont entendu mon chant d'amour.

Depuis, je marche solitaire,
Pareille à ce ruisseau qui fuit
Rêveusement dans les fougères
Et mon coeur s'éloigne sans bruit...