J’aime l’âne

 
J’aime l’âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles ;

et il porte les pauvres
et des sacs remplis d’orge.

Il va, près des fossés,
d’un petit pas cassé.

Mon amie le croit bête
parce qu’il est poète.

Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.

Jeune fille au doux cœur,
tu n’as pas sa douceur :

car il est devant Dieu
l’âne doux du ciel bleu.

Et il reste à l’étable,
fatigué, misérable,

ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.

Il a fait son devoir
du matin jusqu’au soir.

Qu’as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l’aiguille...

Mais l’âne s’est blessé :
la mouche l’a piqué.

Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.

Qu’as-tu mangé petite ?
— T’as mangé des cerises.

L’âne n’a pas eu d’orge,
car le maître est trop pauvre.

Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l’ombre...

La corde de ton cœur
n’a pas cette douceur.

Il est l’âne si doux
marchant le long des houx.

J’ai le cœur ulcéré :
ce mot-là te plairait.

Dis-moi donc, ma chérie,
si je pleure ou je ris ?

Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme

est sur les grands chemins,
comme lui le matin.

Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris ?

Je doute qu’il réponde :
il marchera dans l’ombre,

crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs.

Collection: 
1888

More from Poet

  • Vous m’avez regardé avec toute votre âme.
    Vous m’avez regardé longtemps comme un ciel bleu.
    J’ai mis votre regard à l’ombre de mes yeux…
    Que ce regard était passionné et calme…

  • Voici les mois d'automne et les cailles graisseuses
    s'en vont, et le râle aux prairies pluvieuses
    cherche, comme en coulant, les minces escargots.
    Il y a déjà eu, arrivant des coteaux,
    un vol flexible et mou de petites outardes,
    et des vanneaux, aux longues ailes...

  • Voici le grand azur qui inonde la petite ville.
    Les paysans sont arrivés pour le marché.
    Des petits enfants ont des bas couleur de cerise.
    Ils sont venus le long de la fraîcheur des haies.

    Là-bas, la neige des montagnes casse le ciel.
    Oh ! que tout cela est...

  • Les villages brillent au soleil dans les plaines,
    pleins de clochers, de rivières, d’auberges noires,
    au soleil ou sous la pluie grise ou dans la neige
    avec des cris aigus de coqs, avec des blés,

    avec des chars qui vont lentement aux labours,
    avec des charrues qui...

  • Le village à midi. La mouche d’or bourdonne
                          entre les cornes des bœufs.
                          Nous irons, si tu le veux,
    Si tu le veux, dans la campagne monotone.

    Entends le coq... Entends la cloche... Entends le paon......