Invocation

 
    Dans l’Hadès souterrain où la nuit est parfaite
    Te souviens-tu de l’île odorante, ô Psappha ?
    Du verger où l’élan des lyres triompha,
    Et des pommiers fleuris où la brise s’arrête ?

    Toi qui fus à la fois l’amoureuse et l’amant,
    Te souviens-tu d’Atthis, parmi les ombres pâles,
    De ses refus et de ses rires, de ses râles,
    De son corps étendu, virginal et dormant ?

    Te souviens-tu des hauts trépieds et de leurs flammes ?
    De la voix d’Eranna, s’élevant vers la nuit,
    Pour l’hymne plus léger qu’une aile qui s’enfuit,
    Mais que ne perdra point la mémoire des femmes ?

    Ouvre ta bouche ardente et musicale… Dis !
    Te souviens-tu de ta maison de Mytilène,
    Des cris mélodieux, des baisers dont fut pleine
    Cette demeure où tu parus et resplendis ?

    Revois la mer, et ces côtes asiatiques
    Si proches dans le beau violet du couchant,
    Que, toi, tu contemplais, en méditant un chant
    Sans faute, mais tiré des barbares musiques !

    Le Léthé peut-il faire oublier ces vergers
    Qui dorment à l’abri des coups et des vents maussades,
    Et leurs pommes, et leurs figues, et leurs grenades,
    Et le doux tremblement des oliviers légers ?

    Peut-il faire oublier le pas lassé des chèvres
    Vers l’étable, et l’odeur des vignes de l’été ?
    Dors-tu tranquillement là-bas, en vérité,
    Toi dont le nom divin est toujours sur nos lèvres ?

    Toi qui fus la prêtresse et l’égale des Dieux,
    Toi que vint écouter l’Aphrodite elle-même,
    Dis-nous que ton regard est demeuré suprême,
    Que le sommeil n’a pu s’emparer de tes yeux !

    Parmi les flots pesants et les ombres dormantes,
    Toi qui servis l’Eros cruel, l’Eros vainqueur,
    L’Eros au feu subtil qui fait battre le cœur,
    As-tu donc oublié le baiser des amantes ?

    Les vierges de nos jours égalent en douceur
    Celles-là que tes chants rendirent éternelles,
    Les vignes de Lesbos sont toujours aussi belles,
    La mer n’a point changé son murmure berceur.

    Ah ! rejette en riants tes couronnes fanées !
    Et, si jamais l’amour te fut amer et doux,
    Ecoute maintenant et reviens parmi nous
    Qui t’aimons à travers l’espace et les années !

Collection: 
1897

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À Madame L.D. M...

Le soir s'est refermé, telle une sombre porte,
Sur mes ravissements, sur mes élans d'hier...
Je t'évoque, ô splendide ! ô fille de la mer !
Et je viens te pleurer comme on pleure une morte.

L'air des bleus horizons ne gonfle plus tes seins,...

Le jour ne perce plus de flèches arrogantes
Les bois émerveillés de la beauté des nuits,
Et c'est l'heure troublée où dansent les Bacchantes
Parmi l'accablement des rythmes alanguis.

Leurs cheveux emmêlés pleurent le sang des vignes,
Leurs pieds vifs sont légers...

Le soir était plus doux que l'ombre d'une fleur.
J'entrai dans l'ombre ainsi qu'en un parfait asile.
La voix, récompensant mon attente docile,
Me chuchota: "Vois le palais de la douleur".

Mes yeux las s'enchantaient du violet, couleur
Unique car le noir dominait....

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Évoque un souvenir fragilement rosé,
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...