Vous qui réfléchissez sous les cils de vos yeux
Le sourire inspiré de votre ange pieux,
Vous dont la harpe d’or sur ses cordes pressées
Rend l’écho musical des célestes pensées,
Vous dont l’âme vibrant au ton de tous les cœurs,
A des chants pour nos chants, et des pleurs pour nos pleurs,
Pardonnez mes soupirs ; tout chantre a son partage :
Le ciel pour me parler n’a point d’autre langage.
Ces vers sont mes secrets, s’ils ne sont inspirés....
C’est la voix de mon cœur, vous les écouterez.
Il est, il est des soirs où l’âme solitaire,
Loin des songes du ciel et des bruits de la terre,
Dans l’ombre d’elle-même hasardant un coup d’œil,
Y rencontre le vide et le froid du cercueil.
Sans pouvoir ressaisir dans son morne voyage
Ni les câbles du port, ni les flots de l’orage,
Asseyant sa pensée aux rives du néant,
Elle en entend rouler le murmure effrayant,
Voix confuse d’un flot que nul zéphir n’annonce,
Qui n’eut jamais de borne, et n’a point de réponse.
Et ce flot redisait à mon cœur abattu :
« Tu te vantais de vivre, hélas ! te compris-tu ?
» As-tu sondé l’abîme où germe ta pensée,
» Comme l’éternité dont elle est enlacée,
» Le vent qui t’enleva des profondeurs de Dieu
» Pour te jeter vivant, à ton heure, en ton lieu ?
» Sais-tu le mot d’amour que la Toute-Puissance
» Pour t’immortaliser grava dans ton essence ?
» Sais-tu pourquoi ton âme, échappée à ses bras,
» Se ressouvient de Dieu, mais ne l’adore pas ? »
Ignorer l’avenir, est-ce là se connaître ?
Ne pouvoir ici-bas assigner à son être
De rang suprême et sur dans le chœur des esprits...
Se savoir seulement un céleste débris,
Une idée échappée à la ronde immortelle,
Qui glissa du zéphir où s’appuyait son aile...
Ne remonter jamais, redescendre toujours,
Avec un souvenir et des pleurs sans amours,
Se dire détaché d’une chaîne infinie,
Savoir que l’on détonne au sein de l’harmonie,
Et qu’il est par delà l’étoile et les cieux d’or
Un invisible ami qui nous appelle encor,
Ami que trop souvent nous refusons d’entendre...
Est-ce là se connaître ? est-ce là se comprendre ?
Je me compris peut-être en cet instant si pur
Où la terre est brouillard, où le ciel est d’azur.
Peut-être dans ces nuits de tristesse et de rêve,
Où la lune et les flots, endormis sur la grève,
Font soupirer leur ange aux paupières d’argent,
J’aurai compris mon être immortel et changeant.
Quand la brise d’automne hérisse le feuillage
Du bois, contre lequel s’appuie un blanc village,
Peut-être aurai-je vu, sur mon humble Jura,
L’étoile qui m’aimait, le ciel qui m’inspira...
Et cette lyre d’or et ces cordes de flamme
Que faisaient soupirer les ailes de mon âme,
Avant le jour où Dieu, de ses doigts tout puissants,
L’enfermait dans la poudre, et l’enchaînait aux sens.
Les voilà, les soupirs que la mélancolie
Parfois a réveillés sur ma lyre appauvrie ;
Voix de ce qui m’échappe et ne reviendra pas,
C’est toi qui me prédis un précoce trépas !...
Ah ! sans doute, trop tôt j’ai cru voir disparaître
Ces demeures d’iris d’où s’élança mon être !...
Trop tôt j’avais connu l’attrait du souvenir.
Les pleurs sont du passé.... Regretter, c’est mourir !
Si du moins nous savions conserver à nos larmes
Leur céleste parfum, leurs mystérieux charmes,
Et si, pour les répandre, on en sauvait le miel,
Souvenir des beaux jours, triste gage du ciel !...
Mais l’homme qui vieillit en détruit le mystère.
Les pleurs que Dieu lui donne, il les rend à la terre,
Et quand s’ouvre des cieux l’éternel horizon
C’est sa fange qu’il pleure.... et sa froide prison !
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Oui, quand viendra la mort, peut-être oublierons-nous
Ces premiers jours où l’âme, ange aux regards si doux,
Déjà prenait son vol, riante d’innocence,
Vers la sphère où tout s’use, où rien ne recommence !...
Peut-être oublierons-nous que nos fronts ont quitté
Leur couronne d’amour et d’immortalité !...
Reviendrez-vous encore, ô lueurs idéales !
Comme on voit, vers le soir, sur les montagnes pâles
Une seconde aurore interrompre la nuit,
Repentir fugitif du soleil qui s’enfuit.
Ou bien ne fûtes-vous au fond de ma pensée
Qu’un rayon pâlissant sur une onde glacée ?
Le passage d’un ange, au vol capricieux,
Qui, plongeant dans mon sein la clarté de ses yeux,
S’enfuit, intimidé par les bruits de la terre,
Dormir dans les rayons d’une plus chaste sphère ?
Ainsi j’aurais voulu, sur la terre d’exil,
Des deux éternités renouant le long fil,
Que l’on vécût de force et non de souvenance,
De regrets superflus, de stérile espérance ;
Qu’entre naître et mourir, ces pôles lumineux,
On pût dormir la vie, on pût rêver les deux.
O foi ! muet langage ! ineffables échanges
Du Dieu qui s’est fait homme à nous qu’il fit des anges !
Sommeil anticipé dans les palais de Dieu !
Sois-moi pour ce qui passe un éternel adieu !
Verse sur moi l’oubli ! Cette vie accablante
Est si brève en arrière, et devant moi si lente,
Qu’abandonnant l’espoir plutôt qu’un souvenir,
Je dis : j’ai vu les cieux ; il me reste à mourir !
Redescendre au néant ! Oh non ! plus de blasphème !
Mon souvenir du ciel est un gage qu’il m’aime.
Croyez-en les regrets !...............................
Et si l’esprit divin, dévoilant sa prunelle,
Peignit l’azur des cieux sur la nuit éternelle,
Dans la nuit de mon âme un seul regard d’amour
Suffira pour verser la lumière et le jour.
Avril, 1835.