Idylles héroïques - Frantz - Prologue

 
AVRIL

C’est moi qui décoche à ta vitre
Ce rayon d’or leste et joyeux
Dont le feu, sur ton noir pupitre,
Tombe et rejaillit dans tes yeux.

Ferme, en chassant ton rêve sombre,
Ce livre jaune où tu t’endors ;
Fuis gaîment la ville et son ombre
Pour me suivre aux prés, d’où je sors.

Je suis le printemps ! Dieu m’envoie,
Plein de musique et de couleurs,
Pour semer la vie et la joie
Dans les âmes et dans les fleurs.

FRANTZ

Je fuirai sans regrets ce toit sombre et mon livre,
O printemps ! mais je veux du moins,
Sous ton jeune soleil qui m’invite à le suivre,
Marcher sans guide et sans témoins.

Je hais tous les sentiers que le passant me nomme,
Tout lieu d’où je suis revenu ;
Je veux, dans le désert, loin des traces de l’homme,
Je veux voir de près l’inconnu.

LE BÂTON DE L’AÏEUL

Toi qui cherches ton passage,
Fier de le trouver tout seul,
Si ton cœur est resté sage,
Prends le bâton de l’aïeul.

Quelque jour, entre deux routes,
Hésitant, chargé d’ennui,
Situ t’assieds, si tu doutes...,
Laisse-toi guider par lui.

Tu peux sur sa rude écorce
T’appuyer en sûreté ;
Il a donné de sa force
À tous ceux qui l’ont porté.

Il n’a pas conduit ses maîtres
Vers les orgueilleux sommets ;
Mais, par lui, de tes ancêtres
Le pied n’a tremblé jamais.

Ceux-là n’avaient pas l’envie
De fuir tout le genre humain,
Et, pour traverser la vie,
Ils prenaient le droit chemin.

Par la montagne et la plaine,
Partout où le blé mûrit,
Ils creusaient, sans perdre haleine ;
Le sillon qui te nourrit.

Posant leur sceptre de frêne
Sur le seuil de la maison,
Ils rentraient, l’âme sereine,
Sans rêver d’autre horizon.

Fais comme eux : viens, abandonne
L’oisif orgueil ; il te perd...
La nature qui t’est bonne,
C’est le champ, non le désert !

Collection: 
1832

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