Fragment d'un prologue d'opéra

                  LA POÉSIE.
Quoi ! par de vains accords et des sons impuissants,
Vous croyez exprimer tout ce que je sais dire ?
                 LA MUSIQUE.
   Aux doux transports qu’Apollon vous inspire
Je crois pouvoir mêler la douceur de mes chants.
                  LA POÉSIE.
   Oui, vous pouvez au bord d’une fontaine
Avec moi soupirer une amoureuse peine,
Faire gémir Thyrsis, faire plaindre Climène.
Mais, quand je fais parler les héros et les dieux,
         Vos chants audacieux
Ne me sauraient prêter qu’une cadence vaine :
      Quittez ce soin ambitieux.
                 LA MUSIQUE.
Je sais l’art d’embellir vos plus rares merveilles.
                  LA POÉSIE.
On ne veut plus alors entendre votre voix.
                 LA MUSIQUE.
Pour entendre mes sons, les rochers et les bois
      Ont jadis trouvé des oreilles.
                  LA POÉSIE.
Ah ! c’en est trop, ma sœur, il faut nous séparer.
         Je vais me retirer :
Nous allons voir sans moi ce que vous saurez faire.
                 LA MUSIQUE.
      Je saurai divertir et plaire;
Et mes chants moins forcés n’en seront que plus doux.
                  LA POÉSIE.
      Eh bien! ma sœur, séparons-nous.
                 LA MUSIQUE.
      Séparons-nous.
                  LA POÉSIE.
      Séparons-nous.
  CHŒUR DES POÈTES ET DES MUSICIENS.
      Séparons-nous, séparons-nous.
                  LA POÉSIE.
      Mais quelle puissance inconnue
      Malgré moi m’arrête en ces lieux ?
                 LA MUSIQUE.
Quelle divinité sort du sein de la nue ?
                  LA POÉSIE.
         Quels chants mélodieux
Font retentir ici leur douceur infinie ?
                 LA MUSIQUE.
      Ah ! c’est la divine Harmonie
         Qui descend des cieux !
                  LA POÉSIE.
         Qu’elle étale à nos yeux
         De grâces naturelles!
                 LA MUSIQUE.
Quel bonheur imprévu la fait ici revoir !
         LA POÉSIE ET LA MUSIQUE.
         Oublions nos querelles :
Il faut nous accorder pour la bien recevoir.
  CHŒUR DES POÈTES ET DES MUSICIENS.
         Oublions nos querelles :
Il faut nous accorder pour la bien recevoir.

Collection: 
1713

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