Endoume

Des terrains sans culture, où les chèvres du pâtre
Achèvent un gazon que le mistral brûla,
Des bois de pins, rampant sur la roche marâtre,
Et de pauvres maisons dont la pierre grisâtre
S’écaille au vent de mer, — Endoume, te voilà !

Cependant, plus qu’un sol prodigue de merveilles,
Plus qu’un jardin riant au printemps bienvenu,
Plus que les doux vallons hantés par les abeilles,
Ou les ruisseaux d’argent baignent les fleurs vermeilles,
Le peuple de ma ville aime ce rocher nu.

Et, quand du long travail meurt enfin la semaine,
Ces lieux pour le repos sont à jamais choisis :
Femmes, filles, enfants qu’à la remorque on mène,
Vieillards et jeunes gens partent, guirlande humaine,
Heureux d’aller revoir la stérile oasis.

Dès l’aube du dimanche, heure de leur attente,
Chaque toit du village arbore un pavillon ;
Devant chaque maison se déploie une tente ;
Et là, cœurs satisfaits, ce seul jour les contente
Plus que s’il apportait tout l’or d’un galion.

De l’aurore à la nuit, on chante, on rit, on danse,
Chaque pan de coteau porte un joyeux essaim.
Partout les tambourins résonnent en cadence ;
Et le rocher, surpris, admire l’abondance
Des festins étalés sur son aride sein.

Pour l’infertile sol d’où naît cette tendresse ?
Pourquoi tant de chansons et de rires dans l’air ?
Pourquoi tant de gaîté sur tant de sécheresse ?
— C’est qu’au pied des coteaux où la foule se presse
S’étend la mer d’azur, la radieuse mer ;

La mer que nous aimons d’une amour infinie,
Nous, avec nos aïeux, de la Grèce venus,
Nous, tes dignes enfants, maternelle Ionie,
Qui tenais de la mer ta gloire et ton génie,
Ta jeunesse immortelle et ta blonde Vénus !

C’est que nous la voyons ici, de la falaise,
Pâle et rose, au matin, sous la brume qui fuit,
A midi, scintillant ainsi qu’une fournaise,
Calme et suave au soir, lorsque le vent s’apaise,
Et reflétant au loin les splendeurs de la nuit.

C’est qu’assis au banquet servi sur la terrasse,
On aime à voir cingler dans le golfe endormi
La barque au foc tendu qui s’incline avec grâce,
A saluer du cœur le navire qui passe,
A songer que, peut-être, il ramène un ami.

Enfin, c’est que les toits épars sur cette côte
Sont comme de vieux troncs rugueux, mais pleins de miel,
Et que toujours au seuil nous trouvons chez notre hôte
Un bienveillant sourire, une âme simple et haute,
Cœur grand comme la mer et bon comme le ciel !

Collection: 
1875

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