Dialogue entre un poète et sa Muse

 

Oui, le reproche est juste, et je sens qu'à mes vers
La rime vient toujours se coudre de travers.
Ma Muse vainement du nom de négligence
A voulu décorer sa honteuse indigence ;
La critique a blâmé son mince accoutrement.
Travaillez, a-t-on dit, et rimez autrement.
Docile à ces leçons, corrigez-vous, ma Muse,
Et changez en travail ce talent qui m'amuse.

De l'éclat des lauriers subitement épris,
Vous n'abaissez donc plus qu'un regard de mépris
Sur ces fleurs que jadis votre goût solitaire
Cueillait obscurément dans les bois de Cythère ?

Non, je reste à Cythère, et je ne prétends pas
Vers le sacré coteau tourner mes faibles pas.
Dans cet étroit passage où la foule s'empresse
Dois-je aller augmenter l'embarras et la presse ?
Ma vanité n'a point ce projet insensé.
À l'hôtel de l'Amour, par moi trop encensé,
Je veux porter encor mes vers et mon hommage ;
Des refus d'Apollon l'Amour me dédommage.

Eh ! faut-il tant de soins pour chanter ses plaisirs ?
Déjà je vous prêtais de plus sages désirs.
J'ai cru qu'abandonnant votre lyre amoureuse
Vous preniez de Boileau la plume vigoureuse.
C'est alors que l'on doit, par un style précis,
Fixer l'attention du lecteur indécis,
Et par deux vers ornés d'une chute pareille
Satisfaire à la fois et l'esprit et l'oreille.
Mais pour parler d'amour il faut parler sans art ;
Qu'importe que la rime alors tombe au hasard,
Pourvu que tous vos vers brûlent de votre flamme,
Et de l'âme échappés arrivent jusqu'à l'âme ?

Quel fruit de vos conseils ai-je enfin recueilli ?

Je vois que dans Paris assez bien accueilli,
Vous avez du lecteur obtenu le sourire.

La Pinde à cet arrêt n'a pas voulu souscrire.
Peut-être on a loué la douceur de mes sons,
Et d'un luth paresseux les faciles chansons ;
L'indulgente beauté, dont l'heureuse ignorance
N'a pas du bel esprit la dure intolérance,
A dit, en me lisant : « Au moins il sait aimer » ;
Le connaisseur a dit : « Il ne sait pas rimer. »

Te fit-on ce reproche, aimable Deshoulières,
Quand un poète obscur, d'une mains familière,
Parcourait à la fois ta lyre et tes appas,
Et te faisait jouir du renom qu'il n'a pas ?
Chaulieu rimait-il bien, quand sa molle paresse
Prêchait à ses amis les dogmes de Lucrèce ?
A-t-on vu Du Marais le voyageur charmant
De la précision se donner le tourment ?
La Muse de Gresset, élégante et facile,
À ce joug importun fut parfois indocile ;
Et Voltaire, en un mot, cygne mélodieux,
Qui varia si bine le langage des Dieux,
Ne mit point dans ses chants la froide exactitude
Dont la stérilité Fait son unique étude.

Il est vrai ; mais la mode a changé de nos jours ;
On pense raremant, et l'on rime toujours.
En vain vou sdisputez ; il faut être, vous dis-je,
Amant quand on écrit, auteur, quand on corrige.

Soit ; je veux désormais, dans mes vers bien limés,
Que les Ris et les Jeux soient fortement rimés ;
Je veux, en fredonnant la moindre chansonnette,
Au bout de chaque ligne attacher ma sonnette.
Mais ne vos plaignez point si quelquefois le sens
Oublié pour la rime...

Oubliez, j'y consens.
D'un scrupule si vain l'on vous ferait un crime.
Appauvrissez le sens pour enrichir la rime.
Trésorier si connu dans le sacré vallon,
Approche ; Richelet, complaisant Apollon,
Et des vers à venir magasin poétique,
Donne-moi de l'esprit par ordre alphabétique.
Quoi vous riez ?

Je ris de vos transports nouveaux.
Courage, poursuivez ces aimables travaux.

Ce rire impertinent vient de glacer ma verve.

Qu'importe ? Richelet tiendra lieu de Minerve.

Rimez mieux.

Je ne puis.

Ne rimez donc jamais.

Je le puis encor moins.

Taisez-vous.

Je me tais.

Collection: 
1773

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