Dans les Roseaux

 
Si je brise un jour mes chaînes,
Je veux m'enfuir vers les eaux ;
Mieux, que les nids sur les chênes,
Mieux que les aires hautaines,
J'aime un nid dans les roseaux.

J'aime une terre mouillée
Par un lac profond et clair ;
Pour tenir l'âme éveillée,
Il faut que, sous la feuillée,
Les eaux chantent avec l'air.

S'il n'a point de rive humide,
Je fuis un site admiré,
Comme un front pur et sans ride,
Mais dont l'œil serait aride
Et n'aurait jamais pleuré.

La colline la plus verte,
Si l'onde n'est son miroir,
Est comme une âme déserte,
A qui jamais n'est ouverte
Une autre âme pour s'y voir.

Otez les flots à la terre,
La terre sera sans yeux,
Et jamais sa face austère,
Pleine d'ombre et de mystère,
Ne réfléchira les cieux.

Dans ton cœur si quelque chose
Bat des ailes pour voler,
Désir ou douleur sans cause,
Musique ou parfum de rose
Qui demande à s'exhaler ;

Si tu nourris d'une flamme
Le souvenir ou l'espoir,
Si l'image d'une femme
Pleure ou sourit dans ton âme,
Près d'un lac il faut t'asseoir.

Écoute, si le flot chante ;
Si l'eau dort, regarde au fond ;
Miroir où l'azur t'enchante,
Écho d'une voix touchante,
Toujours l'onde te répond.

Les plaines ont l'alouette,
La montagne a l'aigle roi,
Les jardins ont la fauvette ;
Mais, ô lac, le doux poète
Et le cygne sont à toi !

Si je brise un jour mes chaînes,
Je veux m'enfuir vers les eaux ;
Mieux que les nids sur les chênes,
Mieux que les aires hautaines,
J'aime un nid dans les roseaux.

Collection: 
1832

More from Poet

  • Pourquoi, vous qui rêvez d'unions éternelles,
    Maudissez-vous la mort ?
    Est-ce bien moi qui romps des âmes fraternelles
    L'indissoluble accord ?

    N'est-ce donc pas la vie aux querelles jalouses,
    Aux caprices moqueurs,
    Qui vient, comme la feuille à travers ces...

  • Voix des torrents, des mers, dominant toute voix,
    Pins au large murmure.
    Vous ne dites pas tout, grandes eaux et grands bois,
    Ce que sent la nature.

    Vous n'exhalez pas seuls, ô vastes instruments,
    Ses accords gais ou mornes ;
    Vous ne faites pas seuls, en vos...

  • Déjà mille boutons rougissants et gonflés,
    Et mille fleurs d'ivoire,
    Forment de longs rubans et des noeuds étoilés
    Sur votre écorce noire,

    Jeune branche ! et pourtant sous son linceul neigeux,
    Dans la brume incolore,
    Entre l'azur du ciel et nos sillons...

  • I

    Quand l'homme te frappa de sa lâche cognée,
    Ô roi qu'hier le mont portait avec orgueil,
    Mon âme, au premier coup, retentit indignée,
    Et dans la forêt sainte il se fit un grand deuil.

    Un murmure éclata sous ses ombres paisibles ;
    J'entendis des sanglots et...

  • Choeur des Alpes

    Vois ces vierges, là-haut, plus blanches que les cygnes,
    Assises dans l'azur sur les gradins des cieux !
    Viens ! nous invitons l'âme à des fêtes insignes,
    Nous, les Alpes, veillant entre l'homme et les dieux.

    Des amants indiscrets l'abîme nous...