Clovis ou la France chrétienne/Livre XXVI

 
Le camp des goths battu du pluvieux orage,
Prés des feux se ressuye à l’abry d’un bocage,
Tandis qu’avec ses chefs, sur un mont écarté,
Leur roy void le françois par le fleuve arresté.
Comme un loup prés d’un bois, asseuré dans sa fuite,
Des pasteurs éloignez méprise la poursuite,
S’arreste glorieux, tourne ses yeux hagards,
Et sur eux jette encor ses dédaigneux regards.
Le goth triomphe ainsi : puis tout à coup s’estonne,
De voir que dans les flots l’ennemy s’abandonne.

Mais il se sent émeû par un trouble plus fort,
Voyant les escadrons dé-ja sur l’autre bord.
Sa retraitte est honteuse, et n’est plus salutaire.
Aussi-tost réveillant son ardeur temeraire,
Il reprend du combat le glorieux desir :
Et sensible à l’honneur, entend avec plaisir
Les murmures hardis des vaillans capitaines
Sous qui marchent à part les troupes aquitaines.
Quoy ? Fuirons nous encor, dit Gaston en courroux ?
Alaric, de sa gloire autrefois si jaloux,
Peut voir que les françois domptent tout pour le suivre ;
Et veut à son honneur indignement survivre ?
Luy qui nous a vaincus, peut craindre des vainqueurs ?
O ! Valeureux gaulois, quelle honte à nos cœurs ?
Le fleuve, en nous couvrant de l’armée ennemie,
D’Alaric, pour un temps, a couvert l’infamie.
Pense-t’il vers l’Auvergne avancer un seul pas,
Sans repousser les francs, par autant de combas ?
Et mesme voudroit-il devoir son avantage
Aux ramparts des rochers, plustost qu’à son courage ?
Alaric entendant ces genereux propos,
Les aime, et les répand par les troupes des goths :
A ses plus sages chefs il impose silence :
Enfin à son vouloir fait ceder leur prudence.
Il met tout en bataille : et rasseurant les cœurs,
Par la honte et l’espoir réveille leurs langueurs.

Il retient sur le mont mille goths pour sa garde :
Et donne aux aquitains l’honneur de l’avant-garde.
Clovis brulant d’ardeur, dé-ja par les sillons
De front fait avancer quatre épais bataillons :
Et pour munir les flancs de ses bandes fidelles,
Ses gendarmes dé-ja sont rangez sur les ailes.
Les troupes d’Arismond s’animent par sa voix.
La vaillante Yoland accompagne Lisois.
Tous, de vœux et de cris, veulent que l’on combatte.
Sur tous également l’écharpe blanche éclate.
Clovis pourvoid à tout, actif et diligent :
Et par les escadrons brille en armes d’argent.
Car depuis son baptesme, il ne craint plus les charmes.
Il peut braver l’enfer, sans les celestes armes.
La gloire et le bon-heur semblent luire en ses yeux.
Il va parmy les rangs, d’un air victorieux,
Sur un tartare blanc, à la bouche écumante.
Braves guerriers, dit-il d’une grace charmante,
Nos cœurs sont enflammez par le divin esprit :
Et nous allons vanger l’honneur de Jesus-Christ.
Il arreste ses pas. Maxent fait la priere.
Aurele à son costé tient la sainte banniere.
Tout soldat brule d’estre ou vainqueur ou martyr.
Les deux camps opposez commencent à partir.
Les clairons des deux parts à l’envy se répondent.
Dé-ja les premiers rangs se choquent, se confondent.

Et la honte irritée, en cette aspre chaleur,
Se réveille, et s’égale à la haute valeur.
Des hardis aquitains la force inébranlable
D’abbord soustient des francs le choc épouvantable.
Long-temps d’un doux espoir ils animent leurs cœurs :
Et n’estant pas vaincus, pensent estre vainqueurs.
D’armes, de morts, de sang, les plaines sont couvertes.
Les rois, dans l’heur égal, sentent d’égales pertes :
Font marcher la battaille ; et sans cesse agissans,
Joignent l’art de la guerre à leurs efforts puissans.
Chaque troupe s’émeut, se heurte, se renverse.
Comme deux fiers torrens, d’une route diverse,
L’un vers l’autre fondant de deux tertres neigeux,
Meslent avec fureur leurs grands flots orageux :
Long-temps de force égale, et d’une égale rage,
Emeûs et blanchissans, balancent l’avantage :
Mais enfin l’un succombe ; et par l’autre emporté
Cede au rapide effort de son cours indompté.
Le superbe Alaric, dans un trouble semblable,
Cede à l’horrible choc du monarque indomptable :
Du grand flot se détourne ; et flatant sa valeur,
Sur flamans et manceaux va vanger son mal-heur.
Il rougit de fureur, dans sa douleur extreme.
Sa troupe se renverse, et s’écarte de mesme :
Accompagne son prince en son triste courroux :
Puis soulage sa honte, en secondant ses coups.

Soudain pour soutenir ces cohortes branlantes,
Clovis détache un corps de ses troupes vaillantes.
Vandalmar et Valdon, les deux braves jumeaux,
Des fureurs d’Alaric deffendent les manceaux.
Tous deux fiers, tous deux beaux, de visages semblables,
Ils attaquent les goths, de leurs coups redoutables.
Sur la teste, tous deux n’ont qu’un armet leger :
Et leur beauté ne craint ny soleil ny danger.
Sur divers ennemy chacun d’eux se partage.
De combattre Alaric Valdon a l’avantage.
Et le prince, admirant son teint blanc et vermeil,
O ! Femme, luy dit-il, quel aveugle conseil
Aux perils de la guerre abandonne tes charmes ?
Cherche l’ombre et la paix, et laisse-là les armes.
Mais Valdon méprisant ces mots injurieux,
Luy fait sentir un bras plus rude que ses yeux.
Alaric estonné, se void, pour sa deffense,
Reduit à se servir de toute sa vaillance :
Est contraint, en parant, de repousser l’effort,
L’audace par l’audace, et la mort par la mort.
Il l’abbat de deux coups, void les armes sanglantes ;
Et contemple à regret tant de graces mourantes.
Puis contre sa tendresse irritant sa vertu,
Fait passer son coursier sur le corps abbatu.
Vandalmar qui de loin void le sort de son frere,
Sent son cœur enflammé d’une juste colere :

Et voyant que trop tard il le vient secourir,
Veut dans son desespoir le vanger ou mourir :
Fond sur le roy vainqueur, que sa troupe environne ;
Et qui sentant ses coups, le regarde, et s’estonne :
Voyant les traits pareils, et la mesme beauté
De ce corps estendu, qu’il croit ressuscité.
Il pense voir rougir ce mort naguere blesme ;
Et que par son beau spectre, il vange sa mort mesme.
De pareille frayeur sa troupe s’émouvant,
Fuit l’estonnant aspect du fantosme vivant,
Qui suivy de guerriers frapans de force égale,
Leur semble accompagné d’une bande infernale.
Mais enfin Vandalmar, dans sa rage emporté,
Sent qu’Albret et Gaston abbattent sa fierté.
Le roy, qui void le franc à qui l’ame est ravie,
Croit qu’il avoit à perdre une seconde vie.
Clovis, d’autre costé, suivant son cours heureux,
Ne void rien qui resiste à ses faits valeureux :
Et par les puissans coups de sa main foudroyante,
Attache à son party la fortune ondoyante.
Il abbat Valamer sous l’effort de son bras.
Puis renverse les rangs des cantabres soldats.
Arismond qui l’admire, et suit ses avantures,
Rompt, saccage, destruit les farouches astures.
Il void le fier Ataulfe attaché sur les francs,
Poussant les goths d’Espagne, animant tous les rangs :

Et dont il a connu la vaillance brutale,
Aux temps qu’il deffendoit sa Galice natale.
Viens, Ataulfe, dit-il : dans un juste combat
Il faut vuider enfin nostre antique debat.
Contre toy desormais, de mes troupes mutines
Je ne crains plus icy les fraudes intestines.
Il connoist Arismond. Soudain leur vieux courroux
L’un vers l’autre les porte, appesantit leurs coups,
Et fait voir quels transports excite la vangeance,
Quand son aspre fureur renforce la vaillance.
Ils se percent tous deux. Leurs chevaux écumans
De leur sang qui se perd sont rouges et fumans.
Mais des deux combattans la blessure est diverse.
Ataulfe attaint au cœur, paslit, et se renverse.
Arismond plus heureux, à l’épaule est blessé :
Et n’a point de regret au sang qu’il a versé.
Son escuyer accourt, et par ses soins essaye
D’en arrester le cours, et de bander la playe.
Aurele d’autre-part rencontre Polignac,
Qui meine avec ardeur l’escadron auvergnac.
Nos bras, luy dit le duc, ont assez eu de treve.
Il faut que maintenant nostre combat s’acheve.
Ils réveillent alors leurs grands coups differez
Depuis qu’aux bords de l’Ousche ils furent separez.
Tous deux se font sentir de pesantes attaintes ;
Et desja de leur sang leurs tassettes sont teintes.

Mais Polignac enfin perd la bride et l’estrier ;
Et tombe sous le bras de ce fameux guerrier.
Par la mort de son chef la troupe est ébranlée :
Et le duc la renverse, entrant dans la meslée :
Puis des forts aquitains va borner les exploits,
Sauvant de leurs efforts les gendarmes gaulois.
Lisois par tout triomphe : Yoland l’accompagne.
Ils s’attachent tous deux sur les troupes d’Espagne.
L’invincible Lisois, de trois coups violens,
Abbat Atalaric parmy ses catalans.
Ascalerne est navré de blessures profondes,
Par le bras d’Yoland, au milieu de ses frondes.
Cependant du grand roy les vigilans regards,
Pour trouver Alaric, errent de toutes parts.
Un jeune chevalier, que mainte plume ombrage,
Qui d’un seul crespe noir couvre son beau visage,
Paroist, ayant le corps negligemment couvert
D’un riche corcelet par les flancs entr’ouvert ;
Comme si la courroye à l’acier attachée,
S’estoit par quelque choc rompuë ou relaschée.
Il attaque le prince, et paroist animé ?
Puis se presente aux coups par son flanc desarmé.
Clovis pousse le fer où s’offre le passage.
Le crespe alors se leve, et découvre un visage,
Dont l’éclat dés long-temps du monarque est connu.
Le glaive gauchissant, et demy-retenu,

Dans son douteux effort, fait une longue playe,
Dont les grands flots de sang s’épandent sur le saye.
Clovis, dit le guerrier, voyla ce que je veux.
Ta main a fait le coup qu’attendoient tous mes vœux.
Tu verras que ton bras, à toy-mesme perfide,
T’a fait de ton enfant le cruel homicide.
De ce discours obscur le monarque surpris,
D’un assaut impreveû sent troubler ses esprits.
Il void ce chevalier qui paslit et chancelle :
Soustient ce corps penchant, qui tombe de la selle.
Et Leubaste aussi-tost sautant de son coursier,
Sur l’herbe entre ses bras reçoit ce beau guerrier.
Yoland au spectacle arrive et s’en estonne.
Leve le crespe noir, reconnoist Albione.
Malheureuse, dit-elle, impitoyable sœur,
Voyla le coup enfin souhaitté de ton cœur.
Le temps n’a peû dompter cette fureur extreme,
O ! Princesse barbare à ton fruit, à toy-mesme.
Alors du corps mourant, et sur l’herbe couché,
Le corcelet par elle est soudain détaché.
On découvre un enfant, qui vigoureux essaye
A sortir de son flanc, par cette large playe :
Qui du sang qui se perd tasche à suivre le cours :
Et semble par ses cris demander du secours.
Le prince sent alors émouvoir ses entrailles,
Voyant qu’un fils luy naist au milieu des batailles :

Yoland le reçoit. Albione, à ces cris,
Redonne un peu de vie à ses mourans esprits.
Yoland tient ce fils ; et dans sa peine amere,
Tasche à donner le ciel à l’ame de la mere :
Luy dit qu’elle est chrestienne, épouse de Lisois :
L’exhorte d’embrasser le dieu mort sur la croix ;
Qui sauvant cet enfant, malgré sa fureur mesme,
Veut la sauver aussi, puisqu’elle eût le baptesme ;
Dont il luy rend la grace, et l’estat innocent,
En dépit de l’enfer, qui la prit en naissant.
Maxent arrive encor, dont la sainte parole
Luy parle du vray dieu, dans son sort la console,
Et luy fait de l’enfer detester les leçons.
Cependant de la mort elle sent les glaçons.
Elle embrasse la croix : trois fois elle soupire :
Elle l’embrasse encore, et doucement expire.
Yoland fond en pleurs : et pres de ces deux corps,
Chacun se sent émeû de differens transports.
L’un s’émeût de pitié : l’autre a l’ame ravie
De voir ce noble enfant, qui s’est donné la vie.
Clovis, dont la bataille attache les esprits,
Aux doux soins d’Yoland recommande son fils,
Qui doit luy tenir lieu d’un enfant legitime,
Puisque sous une feinte il luy nasquit sans crime.
Il dit, voyant desja cent drapeaux emportez,
Une victoire ! Un fils ! Que d’heur de tous costez !

Mon triomphe en rendra la naissance celebre ;
Et sera pour sa mere une pompe funebre.
Puis un nouvel advis le comble de plaisir,
Sçachant que Genobalde arrive à son desir ;
Ayant pris pour sa route et Bourbon et la Marche,
Quand du prince des goths il eût appris la marche.
Alors de toutes parts Alaric enfermé,
D’une terreur nouvelle a le cœur allarmé.
Il pense que l’enfer, que le ciel, que la terre,
Arment tant de guerriers pour luy faire la guerre.
De forces, de secours, nul espoir ne reluit.
Il pense voir encor le spectre qui le suit.
Ces nouveaux ennemis, comme nouveaux fantomes,
Luy paroissent plustost des demons que des hommes.
Son desespoir l’excite à ses derniers efforts.
De mesme qu’un lion, grand de cœur et de corps,
Que nourrit en ses monts la chaude Numidie,
Alors qu’environné d’une troupe hardie,
Et jettant en courroux la flame par les yeux,
Il ne void que des chiens, des mores, des épieux :
Secoüe en son peril son poil épouvantable :
Deux fois bat de sa queuë et ses flancs et le sable :
Irrite furieux son courage boüillant :
Et prévenant l’assaut, veut estre l’assaillant.
Ainsi le vaillant roy que l’horreur environne,
Ne s’abandonne pas, bien que l’heur l’abandonne.

Contre le triste sort qui l’appelle au trépas,
Il invoque le ciel, qui ne l’écoute pas.
Des goths les plus hardis il ramasse le reste,
Pour rendre à son vainqueur la victoire funeste.
Clovis le void enfin de ses chefs separé,
Remarquant la couronne en son timbre doré.
Alaric, luy dit-il, viens combler ma victoire.
Tu ne peux esperer qu’une derniere gloire,
Dont tu pourras là-bas faire encore le vain.
Tu n’attens que l’honneur de mourir de ma main.
De loin, par un deffy, ton orgueil me menace :
Puis tu vas dans les monts démentir ton audace.
Clotilde est en mes mains, et la victoire encor.
Mais bien que possesseur de ce double tresor,
Je remets au hazard l’un et l’autre avantage :
Et nostre valeur seule en fera le partage.
Voy mesme quel honneur, que pour tes spectateurs
Tu n’auras presqu’icy que tes propres vainqueurs.
Et dans ton desespoir, je te rends l’esperance
De pouvoir en moy seul vaincre toute la France.
Clovis, répond le goth, tu flates mon malheur,
En remettant Clotilde à la seule valeur.
La gloire du vainqueur ne seroit pas parfaite,
S’il voyoit son rival survivre à sa deffaite.
Il faut, par le combat, la perdre ou l’acquerir.
Il faut vaincre et l’avoir, ou la perdre et mourir.

Les troupes des françois, par tout victorieuses,
A l’entour de leur roy retournoient glorieuses.
Leur ardeur regne encore. Il la calme, et l’abbat :
Veut qu’ils laissent un champ libre pour le combat :
Ordonne, en les rangeant, que nul d’eux ne s’avance :
Puis il monte Aquilon, et s’arme d’une lance.
Alaric range aussi la troupe qui le suit,
Tournant ses yeux ardens, en qui la rage luit.
Il appelle à l’écart deux guerriers temeraires.
Si les armes, dit-il, à mes vœux sont contraires,
Sur l’orgueilleux vainqueur courez d’un prompt effort,
Afin que mon rival perisse dans ma mort.
Il monte en mesme temps sur un coursier superbe ;
Et la lance en la main, desja bondit sur l’herbe.
Alors aux bouts du champ s’écartent les deux rois :
Puis fondent l’un sur l’autre, et baissent les longs bois,
A leur force joignant leur addresse guerriere.
Tous les yeux en suspens regardent leur carriere.
De deux coups differens, les guerriers indomptez
Par un puissant effort également heurtez,
Font voir dans le succes de leur course rapide,
Leur corps inébranlable, et leur cœur intrepide.
Clovis rompt, de son coup adroit et vigoureux,
La visiere du goth, dont le bois moins heureux
Dans le bras de Clovis porte une rude atteinte.
Sur la terre en éclats paroist la lance peinte.

Les vallons, les rochers, par tout aux environs,
Retentissent de loin du grand bruit des clairons,
Et des confuses voix mille fois redoublées,
Qu’épandent par les airs les troupes assemblées.
Comme sur l’archipel deux galeres par fois,
Dont l’une a le croissant, l’autre arbore la croix,
Portent l’une vers l’autre une haine enflammée,
Se heurtent, et du choc rompent leur proüe armée.
La bouche des canons vomit le feu tonnant.
Le Negrepont fremit du long bruit resonnant.
Le bord d’Asie en tremble : et sur l’onde embrazée
Par tout flote la rame, et l’antenne brisée.
Telle on void la fureur des deux princes rivaux.
Ils moderent le cours de leurs ardens chevaux,
Qui pareils et de taille, et de force et d’haleine,
Par la fougue emportez, s’écartent dans la plaine.
Tous deux ayant en main leurs glaives reluisans,
Se font à leur retour sentir leurs coups pesans.
Clovis voyant du goth le casque sans visiere,
Tasche à l’atteindre au front, de sa pointe meurtriere.
Alaric découvert, et rouge de courroux,
Pare de son bouclier, et détourne les coups.
Clovis sent dans son cœur croistre sa hardiesse :
Veut employer la force, et dédaigne l’addresse.
Il leve son acier, de qui le coup puissant,
A la foudre pareil, sur le casque descend,

Dont, pour triste presage, il abbat la couronne.
Alaric, aux transports aussi-tost s’abandonne.
Sans ordre, sans relasche, et sans juste dessein,
Il fait sur le roy franc tomber l’épée en vain.
Clovis luy fait sentir son bras inévitable.
Son coup est moins frequent, mais bien plus redoutable.
Il frape le bouclier, et le fend en deux parts :
Et d’infidele sang fait rougir les brassards.
La croupe du coursier en est rouge et fumante.
Alaric, des deux mains, d’une ardeur vehemente,
Leve son coutelas, sur l’arçon se haussant ;
Et flate ses guerriers d’un espoir renaissant.
Du fer, et de l’écu sur qui se void semée
Du lis chery du ciel la fleur si renommée,
Le monarque des francs et vigilant et prompt,
Soustient le glaive lourd, dont la lame se rompt.
Le goth voyant sa main de secours dépourveüe,
Sur sa hache tranchante alors tourne sa veüe.
Sa dextre en mesme temps l’arrache de l’arçon ;
De l’épée en sa gauche il retient le tronçon.
Clovis jette son fer ; et son ame royale,
Pour vaincre un ennemy, ne veut qu’une arme égale.
Il prend aussi sa hache ; et tous deux de leurs coups
Font sauter des brassards les lames et les clous.
Le sang coule à tous deux. Le monarque de France,
D’une juste fureur irritant sa vaillance,

Du goth atteint la teste : et le tranchant acier
Tombe encore en glissant sur les reins du coursier.
Ses nerfs en sont coupez : le fort cheval succombe :
Et par le mesme coup le goth chancelle et tombe.
Il demeure estourdy, sous la selle abbattu.
Il veut par ses efforts relever sa vertu.
La joye émeut les cris des troupes amassées ;
Mais des goths, par la peur, les ames sont glacées.
Clovis se jette à terre. Alaric, leve toy,
Luy dit-il. C’est debout que doit mourir un roy :
Et Clovis ne veut pas avoir si peu de gloire,
Qu’à la mort d’un coursier il doive sa victoire.
Alaric se dégage : et la honte en son cœur
Ranime en mesme temps sa rage et sa vigueur.
Alors pied contre pied l’un à l’autre s’attache.
Ils se frapent tous deux de la pesante hache,
Dont le fendant acier, poussé d’un vif effort,
Porte à ce qu’il rencontre et le coup et la mort.
Clovis hausse le bras ; et du fer qu’il décharge
Fait au col d’Alaric une blessure large.
Le goth fond sur le franc, par un transport soudain :
Et vainement s’efforce à desarmer sa main.
Entre ses bras nerveux, il le serre, il le lutte.
Clovis l’estreint, l’ébranle : et d’une lourde cheûte,
Apres les longs efforts de leurs corps balancez,
Sur le champ l’un sur l’autre ils tombent renversez.

Comme un chesne sappé dans la sombre Erymante,
Fait voir aux bucherons sa cime chancellante ;
Et long-temps s’ébranlant avant que succomber,
Fait douter où le sort veut le faire tomber :
Mesme dans sa ruine est encore superbe,
Abbatant sous son poids un grand sapin sur l’herbe :
Et semble triompher, couvrant de rameaux vers
L’arbre que dans sa cheûte il a mis à l’envers.
Ainsi du roy des francs la force imperieuse,
De la force du goth se void victorieuse.
Il le serre, il l’opprime et des bras et du corps.
L’ennemy fait sous luy d’inutiles efforts.
Puis d’un cœur genereux, tout à coup il se leve :
Et veut que le combat plus noblement s’acheve.
Chacun se ranimant et d’espoir et de cœur,
Se hausse, et d’un seul coup pretend estre vainqueur.
Au ciel en ce moment Clovis leve la teste ;
Et fait à Jesus-Christ cette juste requeste.
Seigneur, guide ce fer sur le chef arien,
Pour l’honneur de ton nom, plustost que pour le mien.
Soudain d’un grand éclair la terre s’illumine.
Clovis sent le presage, et la force divine.
Sur la teste du goth porte le coup fatal ;
Et l’entame en tranchant le solide metal.
Alors ses deux guerriers, par un brutal courage,
Au mépris de la mort joignant leur forte rage,

Partent, voyant son corps sur le sable à l’envers ;
Et portent sur Clovis la pointe de leurs fers.
Le vainqueur soustient seul leur temeraire audace.
Aurele avec Lisois accourt, et les terrasse ;
De leur noire fureur leur rend le juste prix.
Clovis sur Alaric jette un œil de mépris.
Va, dit-il, aux enfers, ame vaine et traistresse,
Ennemy de mon maistre, amant de ma princesse.
Le goth est estendu, pres du roy glorieux.
Mesme apres le trépas il semble furieux :
Et l’on remarque encor, sur son visage blesme,
Son invincible orgueil, qui survit à luy-mesme.

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