Clovis ou la France chrétienne/Livre XIII

 
Quand du ciel eut paru la vertu secourable,
Lisois demeura seul dans un sort miserable.
Rien qu’horreur n’entretient ses pensers vagabonds.
De son triste palais la cendre et les charbons,
De sa chere Yoland la fuite surprenante,
Ses gardes renversez, cette audace estonnante,
De son prince irrité les reproches cruels,
Outragent son esprit d’ennuis continuels.
Clovis à tous momens de peu de soin l’accuse ;
Qu’il devoit redouter et la force et la ruse ;

Et sur ce grand depost avoir de toutes parts
Et de prudens soupçons, et de veillans regards.
Pour reparer sa faute, il veut que ses addresses,
Que ses soins obstinez, luy rendent les princesses :
Qu’il coure apres leurs pas, qu’il les suive en tous lieux.
Sans elles, luy deffend de s’offrir à ses yeux.
Quoy ? Punir un malheur par la honte et l’outrage,
Dit-il ? Prest à combattre, il m’ordonne un voyage ?
De plaintes il rebat tous les grands de la cour.
Puis il entend la voix de son flateur amour,
Qui luy dit qu’en sa route il suit aussi l’armée,
Qui va vers le sejour de sa princesse aimée ;
Et sent, en la suivant, double joye en son cœur,
Servant en mesme temps son maistre et son ardeur.
Sur l’adieu de Lisois, Volcade se ranime.
Albione, en fuyant, l’a soulagé d’un crime.
C’estoit estre à son roy perfide en la sauvant.
Il sert avec Lisois son prince en la suivant.
Soudain avec l’espoir sa vigueur se rallume.
Il quitte de son lit la langoureuse plume ;
Et la belle Alpheïde, et ses soins amoureux ;
Et de suivre un amy, prend le pretexte heureux.
Cependant de Clovis les troupes répanduës
Marchent de lieux divers, à files estenduës :
Se joignent dans la route à monceaux grossissans,
Vers le champ auxerrois à grands pas s’avançans,

Pour y former l’amas, et la force indomptable,
Qui porte à la Bourgogne un assaut redoutable.
Comme de mainte source, et de mille ruisseaux,
Des Alpes épandans leurs tournoyantes eaux,
Le Lech, l’Iser, le Drave, et cent autres rivieres,
Se forment, et long-temps coulent seules et fieres ;
Puis fondent au Danube, et de communs efforts
Pesle-mesle avec luy ravagent ses deux bords ;
Avec orgueil et bruit semblent dompter la terre ;
Puis à la mer Euxine osent porter la guerre.
Ainsi du prince franc les gendarmes épars,
Pour former un seul camp, marchent de toutes parts.
Dans Vienne, aux autels, les meres en gemissent.
Dans Dijon plus prochain, tous les cœurs en fremissent.
Clovis void que tout vole où volent ses souhaits.
Aurele par ses soins l’allege d’un grand faix :
De puissans appareils fait l’apprest necessaire ;
Et compte tous les pas du perfide adversaire.
Clovis par son addresse, et son discours charmant,
Et par sa noble ardeur ses troupes animant ;
Marche de rang en rang, vole de place en place :
Où tombent ses regards, par tout respand l’audace.
Le soldat, dont le cœur d’impatience bat,
N’aspire en ses desirs qu’au grand jour du combat.
D’autre-part Sigismond, dont la flame irritée,
Par son employ guerrier est doucement flatée,

De son pere animé contente les regards,
Faisant hors de Dijon floter ses estendards.
Et le fier Gondomar fait sur les molles herbes
De son coursier fougueux bondir les pas superbes :
Void de ses escadrons et le front et les flancs ;
Les change, les rechange, entre parmy les rangs ;
Et par les tons aigus que la trompette envoye,
Sent son cœur fremissant et d’ardeur et de joye.
Icy sous Gondioch les gendarmes nourris,
Par cent et cent combas de long-temps aguerris,
Enflez d’avoir vaincu le romain, le gepide,
Monstrent sur leur visage un orgueil intrepide.
Le brave Urfé commande un corps de ces guerriers,
Dont le casque d’argent, orné de deux lauriers,
Des armes et des vers porte un double trophée ;
Urfé, qui se vantoit de la race d’Orphée ;
Et dont tira son sang, celuy qui dans nos jours
Des bergers de forests a chanté les amours,
Par qui Lignon est noble, et coule aussi celebre,
Que par le Thracien le fameux flot de l’Hebre.
Par l’orgueilleux Gontran, l’autre corps est conduit,
Dés ses plus jeunes ans dans les armes instruit,
Enfant de la fortune, et dont l’heur fait l’audace,
Dédaignant le deffaut de sa douteuse race.
Gondomar, pour l’essay de sa vive chaleur,
De ces troupes sans prix cognoissant la valeur,

Veut combattre à leur teste ; et sa jeune arrogance
Ne peut d’aucun succés borner son esperance.
Icy les bataillons de piques herissez,
Prompts, fermes, se font voir à tout assaut dressez ;
Haussant parmy les airs leurs pointes flamboyantes,
Entre un nombreux amas d’enseignes ondoyantes.
Le regiment royal, fier d’antiques drapeaux,
Compte autant de combas, qu’ils traisnent de lambeaux :
Qui seul de Gondebaut soustint l’aspre fortune ;
Quand les freres unis, d’une force commune,
Jusqu’aux sources d’Arar pousserent son malheur ;
Qui toûjours luy monstra sa fidele valeur ;
Et qui croit que son roy, sauvé de la tempeste,
De Bourgogne luy doit la seconde conqueste.
Vindemir le conduit, d’Irier le vaillant fils,
Superbe de l’honneur des mutins déconfis,
Qui des champs Lionnois, par des trames nouvelles,
Naguere avoient armé les cœurs souvent rebelles :
Mais plus superbe encor du paternel bon-heur,
Dont sur luy rejallit le rayonnant honneur,
De la grace du roy par ses conseils acquise,
Par ses fideles soins, et sa noble franchise.
Sur son corcelet d’or, brille maint diamant.
La salade reluit d’un pareil ornement.
D’une pompe éclatante il pare sa noblesse.
Toûjours à la faveur est jointe la richesse.

Au dos des bataillons du guerrier bourguignon,
Marchent les regimens d’Arles et d’Avignon.
Puis ceux que Montpellier, ceux que Marseille envoye ;
Et ceux des montagnars, que Grenoble soudoye.
Le prince des bressans, frere de Gondebaut,
Le vieux Godegisille, à l’écart sur un haut,
En un seul bataillon tient sa bande pressée,
Ou d’escadrons épais chaque aile est renforcée.
Balme, à la haute taille, au genereux regard,
Celebre par ses faits, en meine un corps à part.
Et sur le mont Revel qui s’éleve en la Bresse,
La race de la Baulme en tire sa noblesse.
A la gauche paroist des gots le prompt secours,
Faisant tout retentir de clairons, de tambours.
Polignac les conduit, digne fils de son pere,
Le sage, le pieux, l’illustre Apollinaire,
Dont les doctes écrits, et les aimables vers,
Victorieux des ans, courent par l’univers,
Qui s’aquit, éclatant en puissance, en justice,
La fille d’un Cesar, et le rang de Patrice.
Autour de luy paroist maint noble impetueux,
De l’Auvergne habitant le climat montueux,
Des estats d’Alaric la force plus prochaine,
Cependant que luy mesme il arme l’Aquitaine.
Apres les gots paroist de suite s’avançant
L’helvetique secours, et nombreux et puissant,

De pietons aguerris, à cuirasse luisante,
A longue et large épée, à la garde pesante ;
Tous armez de longs bois, patiens aux travaux ;
Et reputant la mort pour le moindre des maux.
L’allobroge le suit, et les troupes alpines ;
Et l’habitant du val des montagnes telines :
Et loin derriere tous fait retentir l’airain,
Le Rhete valeureux, qui void naistre le Rhein.
Gondebaut rasseuré par ces troupes guerrieres,
Ne craint plus que les francs ravagent ses frontieres.
Et dans son cœur ardent il soufre un doux espoir,
De ranger Clovis mesme aux loix de son pouvoir.
Le vaillant Sigismond, aigry par sa tristesse,
N’aspire, en son transport, qu’à sauver sa princesse
Des armes du rival fatal à son amour :
Et pour vanger sa flame, et le priver du jour,
Va sur les bords de l’Ousche arrester son pas ferme.
Dans les murs de Dijon Gondebaut se renferme.
Clovis dé-ja marchoit, enflé des regimens
Par Ranchaire amenez, monarque des flamans ;
Et d’un large escadron qu’à gauche tient sur l’aile
Cararic roy du Mans, mais prince peu fidele.
Tout s’avance en bel ordre ; et de l’auguste roy
Tout garde par les champs la rigoureuse loy.
Le laboureur content sent la paix dans la guerre.
Le troupeau broute l’herbe, et le bœuf fend la terre.

Le soldat est puny du moindre fait commis ;
Et garde sa fureur contre les ennemis.
Devant les pas du prince, et de sa fiere armée,
Marche avec la terreur sa haute renommée :
Et pour faire observer ses ordres redoutez,
La justice et la force arment ses deux costez.
Prés des bords du Suson, qui fougueux et terrible
Precipite ses flots dans l’Ousche plus paisible,
En un val qui du fleuve a le nom emprunté,
Le roy trouve un vieillard, celebre en sainteté,
Montan, jadis aveugle, à qui l’aide divine
Fit revoir la clarté, par le lait de Ciline,
Mere du grand Remy, pour luy rendre un doux prix
D’avoir prophetisé qu’elle auroit ce saint fils.
Il porte et fait voler une riche banniere,
Ou mille flames d’or répandent leur lumiere,
Eclatent sur la pourpre, et contentent les yeux,
Renvoyant les rayons du grand astre des cieux.
Haste toy, dit l’hermite, ô prince redoutable :
Haste toy pour sauver d’un sort épouvantable
Celle qui fit pour toy cet heureux estendart,
Que mes indignes mains t’apportent de sa part.
Le courrier qu’en secret t’envoya la princesse,
Fut surpris, au retour, d’une embusche traistresse :
Puis timide, et cedant aux tourmens rigoureux,
A découvert ta lettre, et tes soins amoureux.

Clotilde dans les fers, attend sa derniere heure.
Gondebaut furieux veut enfin qu’elle meure,
Pour l’indigne forfait, dit-il, qu’elle a commis,
Par un lasche commerce avec ses ennemis.
En vain pour son salut son fils le sollicite.
Pour elle en vain s’émeut le saint prelat Avite,
Qui dans les longs ennuis de sa triste prison,
Pendant qu’elle s’exerce au jeusne, à l’oraison,
La console, et l’exhorte à tracer cet ouvrage,
Pour animer ta flame à vanger son outrage.
Il le mit en mes mains ; je te le viens offrir.
Ne perds pas un moment, et viens la secourir.
A luy ravir le jour le fier tyran s’appreste ;
Et croit finir la guerre, en luy tranchant la teste.
Sigismond hors des murs ne peut plus l’émouvoir ;
Et ce roy fait agir son insolent pouvoir.
Clovis est tout émeû du danger de sa reine ;
Souffre, à cette nouvelle, une sensible peine :
Et sans perdre le temps, fait partir un heraut,
Qui porte la menace au cruel Gondebaut,
Que s’il fait sur Clotilde éclater son audace,
Il poursuivra sans cesse et sa vie et sa race.
De sa chere princesse il baise le present.
Puis pour son grand peril, tout peril mesprisant,
Veut que son camp s’avance ; en peu d’heure il arrive
Sur les bords opposez à l’effroyable rive,

Par tout d’armes bordée, et de grands pavillons,
Et d’escadrons brillans, et d’épais bataillons.
Clovis et Sigismond, et de joye et de rage,
Sentent, en se voyant, tressaillir leur courage.
Les deux camps à l’envy, de tambours, de clairons.
De cris font retentir les airs aux environs.
Des rivages tortus les rochers les secondent ;
Et de sons redoublez à tant de bruits répondent.
A ce piquant aspect, les cœurs, des deux costez,
De mouvemens divers se sentent agitez.
D’ardeur les plus vaillans, d’autres de peur fremissent.
Les uns sont enflammez, et les autres blémissent.
Montan, par son grand zele incapable d’effroy,
Parmy les escadrons, suit les pas du grand roy.
Fay, dit-il, arborer la divine banniere,
A qui la sainte main, le jeusne, la priere,
Ont donné pour ton aide un merveilleux pouvoir :
Avant l’astre couché, tu le pourras sçavoir.
Le prince, à son secours, amoureux la reclame ;
Et pour ses flames d’or, la nomme l’oriflame :
La prend pour son enseigne en ses plus grands explois ;
Et de baisers encor la presse par deux fois.
Puis au duc de Melun dépose le cher gage,
Comme un tresor commis à son vaillant courage.
A sa lance il l’attache ; et l’ouvrage pieux,
Quelque part qu’il le porte, attire tous les yeux ;

Agreable aux françois, aux autres redoutable ;
Et depuis à nos rois et saint et venerable.
Clovis parle aux soldats, allant de rang en rang,
Couvert du don celeste, et d’un pennache blanc.
Sus ! Dit-il, animez, pour vanger mon injure,
Et vos cœurs et vos bras, contre un prince parjure,
Qui trahit sa promesse ; et refuse à mon rang
L’honneur que je luy fais de m’unir à son sang ;
Qui veut à sa fureur immoler pour victime,
Celle qu’il me promit par accord legitime.
Il dit que je le fuis. Allons, mes compagnons,
Laver son insolence au sang des bourguignons :
Allons avec le fer conquerir vostre reine,
Autant digne d’amour, qu’il est digne de haine.
Que j’aime sur vos fronts cette ardeur que j’y voy.
Soudain un cry s’éleve, il faut vanger le roy.
Aussi-tost dans les eaux le premier il s’élance ;
Et leur monstre le gué, qu’il sonde avec sa lance.
Tout le suit à l’envy, dédaignant les hazards,
Et les flots, et les traits, siflans de toutes parts.
Les ondes d’un costé, d’autre les rives vertes,
D’hommes et de chevaux tout à coup sont couvertes.
Un camp se joint à l’autre avec un mesme effort ;
Et l’œil distingue à peine et le fleuve et le bord.
Le monarque, au mépris de cent piques baissées,
Pousse enfin son coursier sur les rives forcées :

Couche du long sapin trois gendarmes à bas :
Puis il arme sa main d’un large coutelas.
Il enfonce, il foudroye, il tranche et bras et testes.
La foule qui le suit seconde ses tempestes.
Il gagne par la force et la place et le temps,
Pour ranger sur le bord ses guerriers degouttans.
Contre l’heureux succés, Sigismond s’évertuë.
Il court, se desespere, anime, frape, tuë,
Serre de bourguignon un gros impetueux,
Pour rompre d’un seul choc l’abbord tumultueux.
Gondomar le seconde ; aux perils s’abandonne.
Tout s’émeut, tout combat ; la trompette resonne.
Comme deux vents émeûs se battent sur les mers,
L’un vers l’autre volant des bouts de l’univers ;
Joignent à leur querelle et vagues, et nuages,
Et foudres éclatans, et pluvieux orages.
Tout se choque, tout bruit : eux-mesmes resonnans,
Animent le combat par leurs soufles tonnans.
Clovis et Sigismond, par les prez, par les landes,
Avec pareille ardeur, ainsi poussent leurs bandes.
Clovis songeant à vaincre, et possesseur du bord,
Du vaillant Sigismond veut amuser l’effort :
Donne à sa vive audace une forte barriere,
Le puissant Sigisbert, et sa troupe guerriere :
Oppose à Gondomar les gendarmes françois,
Par Sisulfe conduits au deffaut de Lisois :

De toutes parts luy-mesme, anime, court, travaille,
Prend les soins importans du fort de la bataille.
Sa voix fait avancer la phalange des francs.
Arbogaste à leur teste attaque par les flancs
La bande bourguignonne, aguerrie et serrée,
Qui presente par tout mainte pointe ferrée.
Le vaillant Vindemir accourt à ce costé,
Pour s’opposer au choc du guerrier redouté.
L’un vers l’autre ébranlant, d’une main foudroyante,
Le bois long et leger de sa pique ondoyante,
Au devant de sa troupe avance de six pas.
Tous deux sçavans en l’art appris dans les combas,
Pressent d’un ferme pas les landes sablonneuses :
Tous deux brillent de gloire, et d’armes lumineuses.
L’un contre l’autre en vain pousse son bras puissant.
Le fer coule trois fois sur le poly glissant.
Mais Arbogaste enfin d’un grand effort qu’il lance,
Du brave Vindemir surmonte la vaillance.
D’une large blessure il a le corps ouvert.
Le sang sort à longs flots : dé-ja l’œil est couvert :
Et l’ame fiere encor, dans les demeures sombres,
Va conter ses grandeurs aux paslissantes ombres.
Le vainqueur glorieux, assez riche d’honneur,
Dédaigne la dépoüille en son ardent bon-heur,
Pousse aussi-tost sa pointe, irritant son courage,
Sur la troupe qu’ébranle un si triste présage.

Ce guerrier redoublant ses coups adroits et forts,
Fait tomber deux soldats sous ses puissans efforts.
Puis l’épée à la main entre par l’ouverture.
Sa bande le seconde, et suit son avanture.
Clovis void que tout branle ; et d’efforts vehemens
Pousse avec l’escadron du fils de Guyemans :
Heurte, renverse, brise, abbat et bras et piques,
Et tout le vain orgueil des victoires antiques :
D’armes, de corps meurtris, foule aux pieds des monceaux ;
Et de sang ennemy fait couler des ruisseaux.
Comme un fleuve orgueilleux, qui perce une chaussée
Et d’argile et de pieux contre luy renforcée ;
Puis de flots épandus ravage les guérets ;
Entraisne bourgs, chasteaux, hommes, bestes, forests ;
Et ne peut rien souffrir en son cours redoutable,
Qui s’offre impunément à sa force indomptable.
Ainsi le vaillant prince, en son cours furieux,
Renverse hommes, drapeaux, d’un effort glorieux.
Il fond en un moment sur tout ce qui s’avance.
Genobalde et les francs, d’égale violence,
Poursuivent le débris, imitans sa chaleur.
Le Rhete et l’Allobroge éprouvent sa valeur.
Il fait tourner encore en déroute pareille,
Les bandes d’Avignon, d’Arles, et de Marseille.
La françoise phalange, à l’égal s’avançant,
Moissonne aprés ses pas, sa route élargissant.

D’autre-part Sigismond, que la fureur domine,
Fend les forts escadrons des guerriers d’Agrippine :
Par tout s’ouvre une voye ; et toûjours assaillant
Toûjours, d’un choix hardy, s’attaque au plus vaillant.
Il s’enfle du succés ; et son ardeur l’anime
Vers le roy Sigisbert, puissant et magnanime.
Son bras est secondé des plus fiers bourguignons.
Il les enflamme, il crie. à moy, mes compagnons.
Que j’ouvre avec le fer mes belles destinées.
Que je tranche aujourd’huy des testes couronnées.
Ses faits suivent sa voix. De quatre coups divers,
Il fait voir quatre corps estendus à l’envers ;
Et par le glaive enfin s’élargit le passage.
Sigisbert le reçoit d’un valeureux courage.
Ils s’attaquent soudain d’un transport furieux ;
Tous deux fiers de leur force, et de leurs grands ayeux.
Dé-ja le fil tranchant de leurs larges épées,
Fait tomber les morceaux de leurs armes coupées.
Sigisbert se découvre ; et son bras estendant,
A la cuisse est attaint d’un horrible fendant,
Dont ses nerfs sont coupez, et tout son corps chancelle.
Puis il est d’un estoc poussé hors de la selle.
Le prince Cloderic void son pere abbatu :
Accourt ; et sa vangeance irrite sa vertu.
Son cœur pieux l’arreste, et combat sa colere.
L’un le porte à sauver, l’autre à vanger son pere.

Mais plus juste, il prefere, en s’opposant aux coups,
Le salut de son pere à son triste courroux.
Il soustient Sigismond, et l’arreste sans cesse,
Donnant aux siens le temps pour tirer de la presse
L’infortuné vieillard qui du heurt des chevaux
A peine s’écartant, marche à pas inégaux.
Alors des ubiens le trouble ou la retraite,
Au libre Sigismond vallent une deffaite.
Il va d’un mesme cours saccager le tongrois.
Clovis d’autre costé pousse ses grands explois.
Et comme deux faucheurs, qui d’une ample prairie,
L’un à l’autre opposez tranchent l’herbe fleurie,
Eslargissent leur voye, et jettent par compas
Une verte moisson qui tombe sous leurs pas :
Clovis et Sigismond ainsi d’un grand courage,
Chacun de leur costé, moissonnent leur passage :
Et chacun mesurant sa fortune à son cœur,
Par son effort espere, et s’estime vainqueur.
Ils se cherchent tous deux. La flame noble et forte,
Puisée en mesmes yeux, l’un vers l’autre les porte.
Chacun d’eux se croit seul digne d’en estre attaint ;
Veut que le feu de l’autre en son sang soit esteint.
Chacun d’eux veut punir, comme une audace extreme,
L’injurieux dessein d’aimer celle qu’il aime ;
Ne craint dans sa fureur ny dangers ny travaux ;
Et de gloire et d’amour tous deux ardens rivaux.

Gondomar qui des francs combat le haut courage,
Parmy les escadrons, court, s’emporte, s’engage.
Plus le peril est grand, plus s’accroist sa valeur.
Le bourguignon s’émeut, secondant sa chaleur :
Et l’exemple piquant rend leurs cœurs intrepides,
Pour soustenir des francs les haches homicides.

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