Ami, Dieu se complaît dans votre œuvre et dans vous ;
Il vient de l’attester par un signe bien doux :
Il vous a fait connaître, il vous a donné celle
En qui, dès ici-bas, son sourire étincelle,
La main qu’il vous fallait, même à vous sage et fort,
Pour garder votre cœur du désir de la mort ;
Et l’homme cette fois a, sans erreurs étranges,
Mêlé deux noms unis au livre d’or des anges,
Le prêtre vous a dit ces mots si pleins d’espoir,
Ces mots sacrés qui font de l’amour un devoir ;
Tandis que sur vos fronts, suivant l’usage antique,
L’amitié, par mes mains, tenait le lin mystique.
Oh ! comme avec ferveur, dans l’auguste moment,
Mon cœur dardait sur vous tout son rayonnement !
Comme j’offrais au ciel, dans ma vive prière,
Pour la verser en vous, ma force tout entière ;
Afin que, sans plier sous les dons du Seigneur,
Votre âme pût suffire à porter son bonheur !
Sur vous ainsi, de l’homme ou d’en haut descendues,
Les bénédictions à flots sont répandues.
Eh bien, pour consacrer et fêter votre choix
Il vous manquait, ô Maître, une sublime voix !
Pour parler à vos cœurs des amours infinies,
Dieu se réserve encor de chères harmonies ;
Car du mont paternel en sa tranquillité
Les forêts sur vos fronts n’ont pas encor chanté.
La Nature vous doit son hymne nuptiale :
Or si jamais, s’ouvrant aux accords qu’elle exhale,
Mon âme a bien compris les chênes et le vent,
Voici ce qu’ils ont dit, Maître, en vous recevant :
Viens, montre aux bois joyeux l’ange que Dieu te donne,
Et qu’attendaient ces monts.
Nous aimerons cette âme où ton amour rayonne,
Autant que nous t’aimons,
Notre été versera des ombres attiédies
Sur ta nouvelle sœur ;
Et chaque arbre pour elle aura des mélodies
Pures comme sou cœur.
Quand elle ira, le soir, à travers la bruyère,
Formant quelque doux vœu,
Nos zéphyrs prêteront leur aile à sa prière
Pour s’envoler vers Dieu.
Elle a, nous le savons, puisque tu l'as choisie,
Un cœur pareil au tien ;
Aimant de la nature et de la poésie
Le sublime entretien.
Nous la ferons parler à la Muse attentive
Qui se cache aux déserts ;
Réveillant sous ses pas l’écho, qui nous arrive
Des célestes concerts.
Dans les genêts en fleurs, seule et toute au silence,
Au coin des bois rêvant,
Elle entendra les airs qu’a chéris son enfance
Dans le souffle du vent
Nous saurons deviner sa plus douce chimère
Et ses penchants secrets ;
Si bien qu’elle oubliera le pays de sa mère
Dans tes chères forêts.
Puis tout, dans ces beaux lieux où ta chaste jeunesse
Verdit sous notre loi,
Les sources, les rochers, les vieux chênes, sans cesse,
Lui parleront de toi.
Nous avons recueilli, précieuses reliques,
Les fleurs de ton printemps,
Larmes et cris joyeux, rêves mélancoliques
De ton cœur de vingt ans.
De ces élans vers Dieu, vers l'amante éternelle,
Nous n’avons rien perdu ;
Nos sommets ont gardé tous ces trésors pour elle,
Tout lui sera rendu.
Ici, pas de sentier, de ravin et de cime,
Pas de source et de fleur,
Qui n’ait reçu de toi sa confidence intime
De joie ou de douleur.
Rêvant déjà du ciel, tout enfant, sous ces hêtres
Tu venais te cacher ;
Tu bâtis cet autel ; les os de tes ancêtres
Dorment sous ce clocher.
L’amitié te faisait ses adieux pleins de charmes
Au bout de ce chemin.
Ce bois t’a vu sourire, et cet autre a de larmes
Mouillé ta forte main.
Plus celle qui t’est chère aimera nos retraites
Et vivra parmi nous,
Plus elle comprendra les merveilles secrètes
De ton cœur grave et doux.
Car ton âme puissante est faite à notre image ;
L’ange de ce beau lieu
De notre intime sève a nourri ton jeune âge
Sous le regard de Dieu.
Si ton livre aux penseurs enseigne les mystères
De l'hymen des esprits,
C’est qu’en nos entretiens, sous ces forêts austères,
Tu les avais appris.
Ta main pétrit chez nous tes robustes ouvrages
Du granit des sommets,
De la moelle du chêne et du feu des orages
Qui ne dorment jamais.
Tout homme simple et droit, et dont le cœur écoute
Tes hauts enseignements,
Croit entendre parler, sous la céleste voûte
Nos vagues instruments.
Tu retrouvas chez nous le Verbe qui fait vivre
Et que l'homme a banni ;
Comme sur nos sommets on respire en ton livre
Un souffle d’infini.
Car c’est la même voix que, sous nos grands ombrages,
L’homme écoute en rivant,
Et qui dans les cœurs purs et les âmes des sages
A son écho vivant.
Viens ! nous serons aimés par ta douce compagne
D’un amour filial ;
Viens, Dieu même a dressé sur ta chère montagne,
Votre lit nuptial !
Nos bois l’ombrageront de paix et d’harmonie.
Restez-nous pour toujours ;
Nous éterniserons l’allégresse infinie -
De vos saintes amours.
Vos cœurs, sur nos sommets, seront ce que nous sommes,
Purs, sublimes et doux ;
Car l’esprit du Seigneur qui se perd chez les hommes,
Se conserve chez nous.
Ta race est notre bien ; il faut qu’elle renaisse !
Sous ces bois triomphants,
Le souffle vigoureux qui forma ta jeunesse
Bercera tes enfants.
Ils croîtront parmi nous libres d’indignes chaînes,
De rêves amollis ;
Nous voulons leur donner la vigueur de nos chênes ;
La candeur de nos lis.
Il faut qu’en les voyant jouer parmi le seigle,
Groupe agile et hardi,
Le passant sache bien que dans le nid de l’aigle
Leur couvée a grandi ;
Et, lorsqu’ils descendront dans l’humaine bataille,
Levant vers Dieu le front,
Qu’on les juge tes fils à leur voix, à leur taille,
Aux coups qu’ils frapperont
Il faut des hommes forts pour soutenir encore
Ce peuple qui s’en va,
Pour faire retentir comme un clairon sonore
Le nom de Jéhovah.
Toi dont la voix annonce aussi haut que la nôtre
Le Dieu que nous chantons,
Lègue ton sang d’athlète et ton verbe d’apôtre
A de fiers rejetons.
Sois donc béni par nous, et qu’elle soit bénie
Cette fleur de l’été
Qui vient sur les hauteurs de ton mâle génie
Fleurir en sa beauté.
Oui ! ce sol est joyeux du bonheur de ses maîtres :
Le clocher de granit,
La source et les buissons, les blés verts et les hêtres,
Tout aime et vous bénit !