Amoureuse du diable

 
Il parle italien avec un accent russe.
Il dit : « Chère, il serait précieux que je fusse
« Riche, et seul, tout demain et tout après-demain.
« Mais riche à paver d’or monnayé le chemin
« De l’Enfer, et si seul qu’il vous va falloir prendre
« Sur vous de m’oublier jusqu’à ne plus entendre
« Parler de moi sans vous dire de bonne foi :
« Qu’est-ce que ce monsieur Félice ? Il vend de quoi ? »

Cela s’adresse à la plus blanche des comtesses.

Hélas ! toute grandeur, toutes délicatesses,
Cœur d’or, comme l’on dit, âme de diamant,
Riche, belle, un mari magnifique et charmant
Qui lui réalisait toute chose rêvée,
Adorée, adorable, une Heureuse, la Fée,

La Reine, aussi la Sainte, elle était tout cela,
Elle avait tout cela.
Elle avait tout cela. Cet homme vint, vola
Son cœur, son âme, en fit sa maîtresse et sa chose
Et ce que la voilà dans ce doux peignoir rose
Avec ses cheveux d’or épars comme du feu,
Assise, et ses grands yeux d’azur tristes un peu.

Ce fut une banale et terrible aventure
Elle quitta de nuit l’hôtel. Une voiture
Attendait. Lui dedans, ils restèrent six mois
Sans que personne sût où ni comment. Parfois
On les disait partis à toujours. Le scandale
Fut affreux. Cette allure était par trop brutale
Aussi pour que le monde ainsi mis au défi
N’eût pas frémi d’une ire énorme et poursuivi
De ses langues les plus agiles l’insensée.
Elle, que lui faisait ? Toute à cette pensée,
Lui, rien que lui, longtemps avant qu’elle s’enfuit,
Ayant réalisé son avoir (sept ou huit
Millions en billets de mille qu’on liasse
Ne pèsent pas beaucoup et tiennent peu de place).
Elle avait tassé tout dans un coffret mignon
Et le jour du départ, lorsque son compagnon
Dont du rhum bu de trop rendait la voix plus tendre
L’interrogea sur ce colis qu’il voyait pendre
À son bras qui se lasse, elle répondit : « Ça,
C’est notre bourse. »

Collection: 
1902

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