Amitié

 
Tous vos dieux sont les miens ; vous aimez ce que j'aime ;
Nos espoirs sont pareils, notre doute est le même ;
Où vous le signalez, je vois aussi le mal,
Et nous marchons tous deux vers le même idéal.

Dans l'océan divin cherchant les perles neuves
Et les parcelles d'or dans le sable des fleuves,
Au fond des grandes eaux nous plongeons de concert ;
Nous gardons en commun le trésor découvert.
Quand l'idée, en son vol, échappe à mes pieds frêles,
Mon âme, pour monter, vous emprunte vos ailes.

Aux régions d'en bas je m'égare souvent ;
Vous que Dieu mène et qui pénétrez plus avant,
Quand mon esprit s'arrête aux choses relatives,
Vous m'ouvrez tout à coup de larges perspectives,
Et, dans un horizon où vous seul avez lu,
Par delà nos soleils vous montrez l'absolu.

Quand j'écris, je ne sais, — tant l'un sent comme l'autre,
Si la page tracée est mon œuvre ou la vôtre.
De ces vers fraternels je vous rends la moitié,
Et sur l'humble fronton j'inscris notre amitié.

Marchons unis toujours ; la nuit tombe, nous sommes
Des étrangers perdus dans la cité des hommes ;
Nous y parlons tout seuls une langue à nous deux,
Et nous comprenons mal ce qu'ils disent entre eux.
Nous ne sommes pas faits aux chemins de traverse ;
Le but n'est pas le même où la route est diverse ;
Si des noirs carrefours nous tentons les hasards,
Nous serons terrassés et broyés par les chars.

Veillons ! plus d'un assaut se prépare dans l'ombre ;
Le présent est mauvais et l'avenir plus sombre,
Plein d'outrages, d'effroi, de labeurs desséchants...
—Nous pourrons être heureux si nous sommes méchants !
Mais, ô frère en douleurs, restons dans notre voie,
Sans renier, pourtant, ni blasphémer la joie.
Il est, même ici-bas, des vestiges de Dieu,
Et le monde meilleur, parfois, s'y montre un peu ;
Il est dans la tourmente, au bout de la mer triste,
Un phare ardent et fixe allumé pour l'artiste
Et versant des rayons pleins de sérénité...
— Viens ! homme de désir, marchons vers la beauté !

Collection: 
1832

More from Poet

  • Pourquoi, vous qui rêvez d'unions éternelles,
    Maudissez-vous la mort ?
    Est-ce bien moi qui romps des âmes fraternelles
    L'indissoluble accord ?

    N'est-ce donc pas la vie aux querelles jalouses,
    Aux caprices moqueurs,
    Qui vient, comme la feuille à travers ces...

  • Voix des torrents, des mers, dominant toute voix,
    Pins au large murmure.
    Vous ne dites pas tout, grandes eaux et grands bois,
    Ce que sent la nature.

    Vous n'exhalez pas seuls, ô vastes instruments,
    Ses accords gais ou mornes ;
    Vous ne faites pas seuls, en vos...

  • Déjà mille boutons rougissants et gonflés,
    Et mille fleurs d'ivoire,
    Forment de longs rubans et des noeuds étoilés
    Sur votre écorce noire,

    Jeune branche ! et pourtant sous son linceul neigeux,
    Dans la brume incolore,
    Entre l'azur du ciel et nos sillons...

  • I

    Quand l'homme te frappa de sa lâche cognée,
    Ô roi qu'hier le mont portait avec orgueil,
    Mon âme, au premier coup, retentit indignée,
    Et dans la forêt sainte il se fit un grand deuil.

    Un murmure éclata sous ses ombres paisibles ;
    J'entendis des sanglots et...

  • Choeur des Alpes

    Vois ces vierges, là-haut, plus blanches que les cygnes,
    Assises dans l'azur sur les gradins des cieux !
    Viens ! nous invitons l'âme à des fêtes insignes,
    Nous, les Alpes, veillant entre l'homme et les dieux.

    Des amants indiscrets l'abîme nous...