Épître 81

quoi ! Vous voulez donc que je chante
ce temple orné par vos bienfaits,
dont aujourd’hui Berlin se vante !
Je vous admire, et je me tais.
Comment sur les bords de la Sprée,
dans cette infidèle contrée
où de Rome on brave les lois,
pourrai-je élever une voix
à des cardinaux consacrée ?
éloigné des murs de Sion,
je gémis en bon catholique.
Hélas ! Mon prince est hérétique,
et n’a point de dévotion.
Je vois avec componction
que dans l’infernale séquelle
il sera près de Cicéron,
et d’Aristide et de Platon,
ou vis-à-vis de Marc-Aurèle.
On sait que ces esprits fameux
sont punis dans la nuit profonde ;
il faut qu’il soit damné comme eux,
puisqu’il vit comme eux dans ce monde.
Mais surtout que je suis fâché
de le voir toujours entiché
de l’énorme et cruel péché
que l’on nomme la tolérance !
Pour moi, je frémis quand je pense
que le musulman, le païen,
le quakre, et le luthérien,
l’enfant de Genève et de Rome,
chez lui tout est reçu si bien,
pourvu que l’on soit honnête homme.
Pour comble de méchanceté,
il a su rendre ridicule
cette sainte inhumanité,
cette haine dont sans scrupule
s’arme le dévot entêté,
et dont se raille l’incrédule.
Que ferai-je, grand cardinal,
moi chambellan très-inutile
d’un prince endurci dans le mal,
et proscrit dans notre évangile ?
Vous dont le front prédestiné
à nos yeux doublement éclate ;
vous dont le chapeau d’écarlate
des lauriers du Pinde est orné ;
qui, marchant sur les pas d’Horace
et sur ceux de saint Augustin,
suivez le raboteux chemin
du paradis et du Parnasse,
convertissez ce rare esprit :
c’est à vous d’instruire et de plaire ;
et la grâce de Jésus-Christ
chez vous brille en plus d’un écrit,
avec les trois grâces d’Homère.

Collection: 
1751

More from Poet

  • <2>

    La dernière est une des plus jolies qu'on ait faites : c'est Laïs sur le retour, consacrant son miroir dans le temple de Vénus, avec ces vers :

    Je le donne à Vénus, puisqu'elle est toujours belle :
    Il redouble trop mes ennuis.
    Je ne saurais me voir en ce...

  • Tu veux donc, belle Uranie,
    Qu'érigé par ton ordre en Lucrèce nouveau,
    Devant toi, d'une main hardie,
    Aux superstitions j'arrache le bandeau;
    Que j'expose à tes yeux le dangereux tableau
    Des mensonges sacrés dont la terre est remplie,
    Et que ma philosophie...

  •  
       O malheureux mortels ! ô terre déplorable !
    O de tous les mortels assemblage effroyable !
    D’inutiles douleurs, éternel entretien !
    Philosophes trompés qui criez : « Tout est bien » ;
    Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
    Ces débris, ces lambeaux, ces...

  •  
         Regrettera qui veut le bon vieux temps,
    Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
    Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
    Et le jardin de nos premiers parents ;
    Moi, je rends grâce à la nature sage
    Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
    Tant...

  • Sur les bords fortunés de l'antique Idalie,
    Lieux où finit l'Europe et commence l'Asie,
    S'élève un vieux palais respecté par les temps :
    La Nature en posa les premiers fondements ;
    Et l'art, ornant depuis sa simple architecture,
    Par ses travaux hardis surpassa la...