Épître 8

Grand prince, qui, dans cette cour
où la justice était éteinte,
sûtes inspirer de l’amour,
même en nous donnant de la crainte ;
vous que Rousseau si dignement
a, dit-on, chanté sur sa lyre,
Eugène, je ne sais comment
je m’y prendrai pour vous écrire.
Oh ! Que nos français sont contents
de votre dernière victoire !
Et qu’ils chérissent votre gloire,
quand ce n’est pas à leurs dépens !
Poursuivez ; des musulmans
rompez bientôt la barrière ;
faites mordre la poussière
aux circoncis insolents ;
et, plein d’une ardeur guerrière,
foulant aux pieds les turbans,
achevez cette carrière
au sérail des ottomans :
des chrétiens et des amants
arborez-y la bannière,
Vénus et le dieu des combats
vont vous en ouvrir la porte ;
les grâces vous servent d’escorte,
et l’amour vous tend les bras.
Voyez-vous déjà paraître
tout ce peuple de beautés,
esclaves des voluptés
d’un amant qui parle en maître ?
Faites vite du mouchoir
la faveur impérieuse
à la beauté la plus heureuse,
qui saura délasser le soir
votre altesse victorieuse.
Du séminaire des amours,
à la France votre patrie,
daignez envoyer pour secours
quelques belles de Circassie.
Le saint-père, de son côté,
attend beaucoup de votre zèle,
et prétend qu’avec charité
sous le joug de la vérité
vous rangiez ce peuple infidèle.
Par vous mis dans le bon chemin,
on verra bientôt ces infâmes,
ainsi que vous, boire du vin,
et ne plus renfermer leurs femmes.
Adieu, grand prince, heureux guerrier !
Paré de myrte et de laurier,
allez asservir le Bosphore :
déjà le grand turc est vaincu ;
mais vous n’avez rien fait encore
si vous ne le faites cocu.

Collection: 
1916

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