Épître 64

Ceux qui sont nés sous un monarque
font tous semblant de l’adorer ;
sa majesté, qui le remarque,
fait semblant de les honorer ;
et de cette fausse monnoie
que le courtisan donne au roi,
et que le prince lui renvoie,
chacun vit, ne songeant qu’à soi.
Mais lorsque la philosophie,
la séduisante poésie,
le goût, l’esprit, l’amour des arts,
rejoignent sous leurs étendards,
à trois cents milles de distance,
votre très-royale éloquence,
et mon goût pour tous vos talents ;
quand, sans crainte et sans espérance,
je sens en moi tous vos penchants ;
et lorsqu’un peu de confidence
resserre encor ces noeuds charmants ;
enfin lorsque Berlin attire
tous mes sens à Cirey séduits,
alors ne pouvez-vous pas dire :
on m’aime, tout roi que je suis ?
enfin l’océan germanique,
qui toujours des bons hambourgeois
servit si bien la république,
vers Embden sera sous vos lois,
avec garnison batavique.
Un tel mélange me confond ;
je m’attendais peu, je vous jure,
de voir de l’or avec du plomb ;
mais votre creuset me rassure :
à votre feu, qui tout épure,
bientôt le vil métal se fond,
et l’or vous demeure en nature.
Partout que de prospérités !
Vous conquérez, vous héritez
des ports de mer et des provinces ;
vous mariez à de grands princes
de très-adorables beautés ;
vous faites noce, et vous chantez
sur votre lyre enchanteresse
tantôt de Mars les cruautés,
et tantôt la douce mollesse.
Vos sujets, au sein du loisir,
goûtent les fruits de la victoire ;
vous avez et fortune et gloire ;
vous avez surtout du plaisir ;
et cependant le roi mon maître,
si digne avec vous de paraître
dans la liste des meilleurs rois,
s’amuse à faire dans la Flandre
ce que vous faisiez autrefois
quand trente canons à la fois
mettaient des bastions en cendre.
C’est lui qui, secouru du ciel,
et surtout d’une armée entière,
a brisé la forte barrière
qu’à notre nation guerrière
mettait le bon greffier Fagel.
De Flandre il court en Allemagne
défendre les rives du Rhin ;
sans quoi le pandoure inhumain
viendrait s’enivrer de ce vin
qu’on a cuvé dans la Champagne.
Grand roi, je vous l’avais bien dit
que mon souverain magnanime
dans l’Europe aurait du crédit,
et de grands droits à votre estime.
Son beau feu, dont un vieux prélat
avait caché les étincelles,
à de ses flammes immortelles
tout d’un coup répandu l’éclat.
Ainsi la brillante fusée
est tranquille jusqu’au moment
où, par son amorce embrasée,
elle éclaire le firmament,
et, perçant dans les sombres voiles,
semble se mêler aux étoiles,
qu’elle efface par son brillant.
C’est ainsi que vous enflammâtes
tout l’horizon d’un nouveau ciel,
lorsqu’à Berlin vous commençâtes
à prendre ce vol immortel
devers la gloire, où vous volâtes.
Tout du plus loin que je vous vis,
je m’écriai, je vous prédis
à l’Europe tout incertaine.
Vous parûtes : vingt potentats
se troublèrent dans leurs états,
en voyant ce grand phénomène.
Il brille, il donne de beaux jours :
j’admire, je bénis son cours ;
mais c’est de loin : voilà ma peine.

Collection: 
1744

More from Poet

  • <2>

    La dernière est une des plus jolies qu'on ait faites : c'est Laïs sur le retour, consacrant son miroir dans le temple de Vénus, avec ces vers :

    Je le donne à Vénus, puisqu'elle est toujours belle :
    Il redouble trop mes ennuis.
    Je ne saurais me voir en ce...

  • Tu veux donc, belle Uranie,
    Qu'érigé par ton ordre en Lucrèce nouveau,
    Devant toi, d'une main hardie,
    Aux superstitions j'arrache le bandeau;
    Que j'expose à tes yeux le dangereux tableau
    Des mensonges sacrés dont la terre est remplie,
    Et que ma philosophie...

  •  
       O malheureux mortels ! ô terre déplorable !
    O de tous les mortels assemblage effroyable !
    D’inutiles douleurs, éternel entretien !
    Philosophes trompés qui criez : « Tout est bien » ;
    Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
    Ces débris, ces lambeaux, ces...

  •  
         Regrettera qui veut le bon vieux temps,
    Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
    Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
    Et le jardin de nos premiers parents ;
    Moi, je rends grâce à la nature sage
    Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
    Tant...

  • Sur les bords fortunés de l'antique Idalie,
    Lieux où finit l'Europe et commence l'Asie,
    S'élève un vieux palais respecté par les temps :
    La Nature en posa les premiers fondements ;
    Et l'art, ornant depuis sa simple architecture,
    Par ses travaux hardis surpassa la...