Tu m’appelles à toi, vaste et puissant génie,
Minerve de la France, immortelle émilie ;
je m’éveille à ta voix, je marche à ta clarté,
sur les pas des vertus et de la vérité.
Je quitte Melpomène et les jeux du théâtre,
ces combats, ces lauriers, dont je fus idolâtre ;
de ces triomphes vains mon coeur n’est plus touché.
Que le jaloux Rufus, à la terre attaché,
traîne au bord du tombeau la fureur insensée
d’enfermer dans un vers une fausse pensée ;
qu’il arme contre moi ses languissantes mains
des traits qu’il destinait au reste des humains ;
que quatre fois par mois un ignorant Zoïle
élève, en frémissant, une voix imbécile :
je n’entends point leurs cris, que la haine a formés ;
je ne vois point leurs pas, dans la fange imprimés.
Le charme tout-puissant de la philosophie
élève un esprit sage au-dessus de l’envie.
Tranquille au haut des cieux que Newton s’est soumis,
il ignore en effet s’il a des ennemis :
je ne les connais plus. Déjà de la carrière
l’auguste vérité vient m’ouvrir la barrière ;
déjà ces tourbillons, l’un par l’autre pressés,
se mouvant sans espace, et sans règle entassés,
ces fantômes savants à mes yeux disparaissent.
Un jour plus pur me luit ; les mouvements renaissent.
L’espace, qui de Dieu contient l’immensité,
voit rouler dans son sein l’univers limité,
cet univers si vaste à notre faible vue,
et qui n’est qu’un atome, un point dans l’étendue.
Dieu parle, et le chaos se dissipe à sa voix :
vers un centre commun tout gravite à la fois.
Ce ressort si puissant, l’âme de la nature,
était enseveli dans une nuit obscure ;
le compas de Newton, mesurant l’univers,
lève enfin ce grand voile, et les cieux sont ouverts.
Il déploie à mes yeux, par une main savante,
de l’astre des saisons la robe étincelante :
l’émeraude, l’azur, le pourpre, le rubis,
sont l’immortel tissu dont brillent ses habits.
Chacun de ses rayons, dans sa substance pure,
porte en soi les couleurs dont se peint la nature ;
et, confondus ensemble, ils éclairent nos yeux ;
ils animent le monde, ils emplissent les cieux.
Confidents du très-haut, substances éternelles,
qui brûlez de ses feux, qui couvrez de vos ailes
le trône où votre maître est assis parmi vous,
parlez : du grand Newton n’étiez-vous point jaloux ?
La mer entend sa voix. Je vois l’humide empire
s’élever, s’avancer vers le ciel qui l’attire :
mais un pouvoir central arrête ses efforts ;
la mer tombe, s’affaisse, et roule vers ses bords.
Comètes, que l’on craint à l’égal du tonnerre,
cessez d’épouvanter les peuples de la terre :
dans une ellipse immense achevez votre cours ;
remontez, descendez près de l’astre des jours ;
lancez vos feux, volez, et, revenant sans cesse,
des mondes épuisés ranimez la vieillesse.
Et toi, soeur du soleil, astre qui, dans les cieux,
des sages éblouis trompais les faibles yeux,
Newton de ta carrière a marqué les limites ;
marche, éclaire les nuits, tes bornes sont prescrites.
Terre, change de forme ; et que la pesanteur,
en abaissant le pôle, élève l’équateur ;
pôle immobile aux yeux, si lent dans votre course,
fuyez le char glacé des sept astres de l’Ourse :
embrassez, dans le cours de vos longs mouvements,
deux cents siècles entiers par delà six mille ans.
Que ces objets sont beaux ! Que notre âme épurée
vole à ces vérités dont elle est éclairée !
Oui, dans le sein de Dieu, loin de ce corps mortel,
l’esprit semble écouter la voix de l’éternel.
Vous à qui cette voix se fait si bien entendre,
comment avez-vous pu, dans un âge encor tendre,
malgré les vains plaisirs, ces écueils des beaux jours,
prendre un vol si hardi, suivre un si vaste cours ?
Marcher, après Newton, dans cette route obscure
du labyrinthe immense où se perd la nature ?
Puissé-je auprès de vous, dans ce temple écarté,
aux regards des français montrer la vérité !
Tandis qu’Algarotti, sûr d’instruire et de plaire,
vers le Tibre étonné conduit cette étrangère,
que de nouvelles fleurs il orne ses attraits,
le compas à la main j’en tracerai les traits ;
de mes crayons grossiers je peindrai l’immortelle.
Cherchant à l’embellir, je la rendrais moins belle :
elle est, ainsi que vous, noble, simple, et sans fard,
au-dessus de l’éloge, au-dessus de mon art.
Épître 51
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