Philosophe indulgent, ministre citoyen,
qui ne cherchas le vrai que pour faire le bien ;
qui d’un peuple léger, et trop ingrat peut-être,
préparais le bonheur et celui de son maître,
ce qu’on nomme disgrâce a payé tes bienfaits.
Le vrai prix du travail n’est que de vivre en paix.
Ainsi que Lamoignon, délivré des orages,
à toi-même rendu, tu n’instruis que les sages ;
tu n’as plus à répondre aux discours de Paris.
Je crois voir à la fois Athène et Sybaris
transportés dans les murs embellis par la Seine :
un peuple aimable et vain, que son plaisir entraîne,
impétueux, léger, et surtout inconstant,
qui vole au moindre bruit, et qui tourne à tout vent,
y juge les guerriers, les ministres, les princes,
rit des calamités dont pleurent les provinces,
clabaude le matin contre un édit du roi,
le soir s’en va siffler quelque moderne, ou moi,
et regrette à souper, dans ses turlupinades,
les divertissements du jour des barricades.
Voilà donc ce Paris ! Voilà ces connaisseurs
dont on veut captiver les suffrages trompeurs !
Hélas ! Au bord de l’Inde autrefois Alexandre
disait, sur les débris de cent villes en cendre :
« ah ! Qu’il m’en a coûté quand j’étais si jaloux,
railleurs athéniens, d’être loué par vous ! »
ton esprit, je le sais, ta profonde sagesse,
ta mâle probité n’a point cette faiblesse.
à d’éternels travaux tu t’étais dévoué
pour servir ton pays, non pour être loué.
Caton, dans tous les temps gardant son caractère,
mourut pour les romains sans prétendre à leur plaire.
La sublime vertu n’a point de vanité.
C’est dans l’art dangereux par Phébus inventé,
dans le grand art des vers et dans celui d’Orphée,
que du désir de plaire une muse échauffée
du vent de la louange excite son ardeur.
Le plus plat écrivain croit plaire à son lecteur.
L’amour-propre a dicté sermons et comédies.
L’éloquent Montazet, gourmandant les impies,
n’a point été fâché d’être applaudi par eux :
nul mortel, en un mot, ne veut être ennuyeux.
Mais où sont les héros dignes de la mémoire,
qui sachent mériter et mépriser la gloire ?
Épître 118
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