À une jeune fille

 

Pourquoi, tout à coup, quand tu joues,
Ces airs émus et soucieux ?
Qui te met cette fièvre aux yeux,
Ce rose marbré sur les joues ?

Ta vie était, jusqu’au moment
Où ces vagues langueurs t’ont prise,
Un ruisseau que frôlait la brise,
Un matinal gazouillement.

                            *

Comme ta beauté se révèle
Au-dessus de toute beauté,
Comme ton cœur semble emporté
Vers une existence nouvelle,

Comme en de mystiques ardeurs
Tu laisses planer haut ton âme.
Comme tu te sens naître femme
À ces printanières odeurs,

Peut-être que la destinée
Te montre un glorieux chemin ;
Peut-être ta nerveuse main
Mènera la terre enchaînée.

                            *

À coup sûr, tu ne seras pas
Épouse heureuse, douce mère ;
Aucun attachement vulgaire
Ne peut te retenir en bas.

                            *

As-tu des influx de victoire
Dans tes beaux yeux clairs, pleins d’orgueil,

Comme en son virginal coup d’œil
Jeanne d’Arc, de haute mémoire ?

Dois-tu fonder des ordres saints,
Être martyre ou prophétesse ?
Ou bien écouter l’âcre ivresse
Du sang vif qui gonfle tes seins ?

Dois-tu, reine, bâtir des villes
Aux inoubliables splendeurs,
Et pour ces vagues airs boudeurs
Faire trembler les foules viles ?

                            *

Va donc ! tout ploiera sous tes pas,
Que tu sois la vierge idéale
Ou la courtisane fatale...
Si la mort ne t’arrête pas.

Collection: 
1862

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