À mon père

 
I

Quand j’eus pris pour devoir la sainte Poésie,
Effrayé de ma tâche après l’avoir choisie,
J’hésitai, m’accusant d’obéir à l’orgueil...
Un bras plus fort que moi m’a fait franchir le seuil.
Alors, pour me donner le courage et l’exemple,
J’ai gravé votre nom sur la base du temple,
O mon père ! et je veux qu’à son couronnement,
L’œuvre, aujourd’hui, le porte inscrit plus dignement ;
Je veux que votre front, dans sa verte vieillesse,
Soit entouré d’honneurs comme il l’est de tendresse.
Si j’aspirai d’abord, loin du chemin banal,
A porter haut mon cœur tendu vers l’idéal,
C’est par votre sang pur de tout levain sordide,
Par vous, par votre nom dont la vertu me guide.
Jamais sous votre toit au destin résigné,
Jamais un vil calcul ne me fut enseigné ;
Comme au temps des aïeux, près du foyer austère,
J’ai vu briller l’honneur, pénate héréditaire ;
Je vous ai vu marcher, en quittant mon berceau,
Vers cette fleur du bien qui se nomme le beau.

Voilà pourquoi, malgré les vents et la tempête,
O mon père ! je fus et veux rester poëte.

Je suis sans fol espoir : je sens l’infirmité
D’un esprit inégal à ce qu’il a tenté ;
Et je ne promets pas, dans mon rêve fragile,
L’éternité du bronze à mon œuvre d’argile ;
Mais, dût l’oubli mortel la briser dès demain,
Poëte sans remords, je reste en mon chemin.

Jamais je n’ai flatté, pour un succès facile,
Le vulgaire, au vrai beau par orgueil indocile ;
Jamais le rire impur n’eut d’écho dans mes chants.
Libre des passions et des instincts méchants,
Ma muse a fréquenté la région sereine
Où l’auguste raison habite en souveraine.

J’ai pris, à la hauteur où vous l’avez porté,
Le culte ardent du bien et-de la vérité ;
J’ai vu de quel amour, de quel respect immense,
Vous avez entouré votre noble science,
Et dans l’art que je sers,.avec un soin jaloux,
J’ai gardé la fierté que je tenais de vous.
 

II

Ainsi je veux vous suivre, et, sur les mêmes voies,
Marcher au même but, dans les pleurs ou les joies.
Égaré dans ce siècle, entre ses dieux croulants,
Je vais où j’aperçois briller vos cheveux blancs.
Toujours dans votre foi, ferme comme la roche.
Je vous ai vu debout, sans peur et sans reproche ;
Jamais au vent du jour, sous le commun niveau,
Votre fidèle main m’abaissa son drapeau ;
Jamais l’ambition, dont chacun suit les ondes,
Ne vous fit dévier dans ses courants immondes.
Quand il fallut céder une part au vainqueur,
Vous avez, sans fléchir, tout livré, fors l’honneur !
Aussi pur que l’acier des antiques armures,
Votre cœur ignora la haine et les murmures ;
Fier en face du sort, mais combattant loyal,
Vous n’avez jamais eu d’ennemis que le mal.
En ce temps chimérique et de foi périssable,
Heureux le fils qui, las de fonder sur le sable,
Trouve encor chez les siens un immobile autel,
Et marche à la clarté de l’honneur paternel !
Je reviens, ô mon père, à nos dieux domestiques.
J’ai su le dernier mot de ces tribuns mystiques,
Qui, proclamant les fils meilleurs que les aïeux,
Prêchent un âge d’or où les hommes sont dieux.

C’est l’erreur de ce siècle : elle est déjà punie ;
Je n’ai vu de progrès que dans, l’ignominie,
Et n’attends rien, pour fruit des âges qui naîtront,
Que des hontes de plus à porter sur le front.

III

Quel homme de nos jours, hésitant sur sa route,
S’il évita l’erreur n’a pas connu le doute ?
Or, il est dans ce doute un parti toujours sûr,
Aussi doux que facile à qui porte un nom pur :
C’est d’être en tous les temps, malheureux ou prospère,
Le fidèle soldat du drapeau de son père,
Et d’apprendre de lui, pour suprême leçon,
A porter noblement son modeste écusson.

C’est par là que je veux, dans une foi solide,
Vous marquer ma tendresse, ô mon père, ô mon guide !
Et vous rendre mon culte ainsi qu’il vous est dû,
Et tel qu’à mon aïeul votre cœur l’a rendu.
Je veux, dès que mes fils nous pourront bien connaître,
Qu’ils sachent vous choisir pour modèle et pour maître,
Qu’ils portent dans le cœur, pour souverain trésor,
Leurs souvenirs de vous écrits en lettres d’or.

Ils apprendront de moi votre jeunesse austère,
Ardente à conquérir un savant ministère,
Tout entière au travail, au dévoûment obscur.
Offrant dès le matin les fruits de l’âge mûr.
Ils sauront qu’orphelin des tempêtes civiles,
Qui laissèrent sans chefs nos maisons et nos villes,
A cet âge où le cœur porte en lui son danger,
Enfant sans protecteur, vous saviez protéger.
Vous avez, jeune sage amoureux de l’étude,
Du père qui manquait pris la sollicitude ;
Vous avez fièrement payé de vos sueurs
Le pain de votre mère et celui de vos sœurs.
Et pendant ces longs jours, ferme en sa double tâche,
Votre âme aux doctes fleurs aspirait sans relâche ;
Et du noble savoir dont vous étiez épris,
Vous forciez vos pareils à vous céder le prix.

Toujours ainsi portant, couronne familière,
Les travaux du penseur et les soucis du père,
Vous avez, à l’abri de ces féconds rameaux,
Nourri des cœurs dans l’ombre et soulagé des maux.
Et moi, j’ai promené mon enfance éternelle !
Vos sérieux labeurs furent trop lourds pour elle ;
Le fardeau dont un fils devait vous affranchir,
Vous l’avez soutenu tout seul et sans fléchir.
C’est par vous que ma muse, à travers des années,
Put attendre, en rêvant, ses moissons ajournées,
0 mon père ! et vous seul, dans vos mâles hivers,
M’avez fait les loisirs d’où fleurirent mes vers.

A chacun de mes fils, avec le nom qu’il porte,
Puissé-je avoir transmis votre âme douce et forte !
A vos côtés, que Dieu leur fasse, longuement,
Voir votre fils docile à votre enseignement ;
Des leçons du foyer qu’ils apprennent sans cesse
Le respect des aïeux source de la sagesse ;
Qu’ils reçoivent de vous la raison et la cœur,
D’un esprit large et droit la sereine vigueur,
Surtout ce vieil honneur, richesse peu commune,
Par qui l’homme est toujours plus haut que la fortune !

En quel siècle fatal grandiront ces enfants ?
Quels crimes prévaudront, railleurs et triomphants ?
Les lois, les mœurs, les arts, rien de grand ne nous reste ;
Je vois monter à flots tout ce que je déteste.
Nous, du moins, il nous faut, dans un respect profond,
Rendre un culte suprême à nos dieux qui s’en vont.
O mon père ! je viens, jusqu’à l’heure dernière,
Me ranger avec vous sous l’antique bannière :
Les plus jeunes de cœur sont encor les aïeux ;
Dans le monde nouveau les hommes naissent vieux.
Nous, résistons au temps : fidèles à l’histoire,
D’un siècle sans honneur retardons la victoire
Mieux vaut rester soi-même et noblement finir,
Que rien sacrifier à ce vil avenir.
Je veux dresser mes fils à des luttes pareilles ;
Qu’ils jugent au vrai poids leur temps et ses merveilles,
Et, malgré le courant des esprits asservis
Qu’ils suivent les sentiers que vous avez suivis ;
Qu’ils lèguent à leurs fils le dieu de votre culte ;
Et, quand le monde entier lui jettera l’insulte,
Qu’un dernier défenseur, issu de votre sang,
Veille sur ses débris, fidèle et frémissant !

IV

Recevez donc ces fils : en eux plus qu’en mon livre,
O mon père ! l’honneur de votre nom doit vivre.
Puissiez-vous, de longs jours, régnant sur la maison,
Dispenser la culture à leur jeune raison.
Pour former dans ces cœurs un sang de bonne race,
J’espère que le ciel y répandra sa grâce ;
Car, veillant sur nos fils d’un amour éternel,
Nous avons près de Dieu notre ange maternel.
Oui, toujours attentive à nos maux, dans sa gloire,
Elle nous voit encor, j’ai besoin de le croire.
Quand je serre en mes bras cet enfant gracieux,
Je sens un froid au cœur et des larmes aux yeux,
En songeant qu’à travers sa douloureuse voie
Ma mère n’a pas eu cette suprême joie ;
Elle qui m’aima tant et l’aurait tant aimé,
Ce grand cœur tout de flamme et qui s’est consumé !

Mais je sais que là-haut, commise à notre garde,
D’aussi près qu’autrefois ma mère nous regarde ;
Qu’elle préside encor, pour nous rendre meilleurs,
A nos humbles travaux, surtout à nos douleurs.
Je la vois, je lui parle ! et c’est elle, ô mon père !
Que j’invoque pour vous ; c’est elle en qui j’espère.
Son amour inquiet ne vous quittera pas ;
Elle nous garde encore ; et son âme, ici-bas,
Inspirant dans leurs soins votre fils, votre fille,
Vous rendra doue encor le foyer de famille.
C’est elle qui répand sur l’enfant au berceau
Les fleurs de son sourire et qui le rend si beau.
Et, pour asseoir là-haut tous les siens auprès d’elle,
Quand elle aura bien fait notre place immortelle,
Quand nous aurons fini d’attendre et de souffrir,
C’est elle qui viendra nous aider à mourir.

V

Ainsi je porte au cœur, enchaînés l’un à l’autre,
O mon père, le nom de ma mère et le vôtre.

Dieu seul a pu savoir et peut vous dire un jour
Quelle place en ma vie a tenu cet amour.
Dans mes heures de calme et dans mes nuits de fièvre,
Ils reviennent sans fin, vos deux noms, sur ma lèvre.
Et, quand l’âme en priant fuira mon corps glacé,
Ces noms seront l’adieu que j’aurai prononcé.

Collection: 
1832

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