À Marguerite

 

Au voyageur las de la route,
Saignant aux ronces du chemin,
Rends l’espérance, ôte le doute ;
A ses tristesses tends la main.

Ne t’en vas pas. Sa vie est sombre ;
Une lumière est dans tes yeux :
Il sentira blanchir son ombre
Sous ton sourire lumineux.

Tous les rêves de sa jeunesse
L’un après l’autre l’ont déçu ;
Qu’en te voyant, il reconnaisse
L’idéal à l’aube aperçu.

Non! tout n’est pas leurre et mensonges
Sur ce globe où l’homme est jeté :
Du plus suave de ses songes
Montre lui la réalité.

Sa pauvre âme, au bien obstinée,
De lutte en lutte, erre au hasard.
L’énigme de sa destinée,
Qu’il la lise en ton clair regard ;

Dans cet œil profond et candide,
Bleu diamant de pureté,
Où s’unissent, hymen splendide,
L’intelligence et la beauté.

Pour ses illusions fanées
Sois le rayon et l’eau du ciel ;
Rends-lui de ses jeunes années
Le chaste rêve originel.

Ce que l’âme rêve ou devine,
Souvenir ou pressentiment,
Est une promesse divine :
Or, Dieu jamais ne se dément.

C’est lui qui dans nos cœurs allume
Les hauts instincts dont nous souffrons ;
Le songe ardent qui nous consume,
Un jour nous le posséderons.

Cet idéal où tend notre âme
Peut se trouver dès ici-bas.
Verrions-nous luire en nous la flamme
Si le foyer n’existait pas ?

Sois pour ce fils d’une autre terre,
Cet exilé vers toi venu,
La Psyché faite de mystère
Dont s’éprit son cœur ingénu.

Aimer, souffrir, lutter, attendre,
Voilà quel lot lui fit le sort.
Pour ce chercheur stoïque et tendre
Sois la main qui conduit au port.

Donne une forme à sa pensée,
Donne un corps à sa vision ;
De sa chimère caressée
Sois la blanche apparition.

Sois dans la nuit pour sa paupière
L’étoile du bien et du beau ;
Affirme à ses yeux la lumière
Avant qu’il descende au tombeau.

Sois la sœur, la consolatrice
Qu’attendent ses jours éprouvés ;
L’âme, la lyre inspiratrice
De ses destins inachevés.

Sois la Muse aux chastes tendresses
Qu’en secret il saura bénir :
Acquitte envers lui les promesses
Qu’à son passé fit l’avenir.

                  ***

Espoirs déçus ! prière vaine !
Ainsi qu’une ombre dans la nuit,
Ainsi qu’un souffle dans la plaine,
La vision s’évanouit.

Résigne-toi, poète, oublie
Ce dernier rêve de ton cœur.
Souffre et pars. La mélancolie
Seule ici-bas sera ta sœur.

Lève-toi, suis ta route austère,
Vis pour ton art sous l’œil de Dieu.
Dis aux promesses de la terre
Un tranquille et suprême adieu.

N’attends rien de la créature,
Rien que l’humaine infirmité :
Le vide, ici ; là, l’imposture ;
Et partout la fragilité.

Ne mets dans l’homme et dans la femme
Ton amour ni ton amitié ;
Mais pour tous deux emplis ton âme
D’une intarissable pitié !

Étouffe en toi toute amertume,
Sois doux à tes propres douleurs :
L’oiseau lave au ruisseau sa plume,
Lavons notre orgueil dans nos pleurs.

Comme un palmier de nos collines,
Comme le saule ami des eaux,
Aime la brise où tu t’inclines
Et qui fait gémir tes rameaux.

Aime l’épine pour la rose
Qui t’enivre de son odeur ;
Refais ta vie et la compose
D’apaisement et de candeur.

L’abeille change en ambroisie
De l’absinthe les sucs amers ;
Change comme elle en poésie
L’âcre saveur de tes revers.

Songeant qu’ici-bas toute épreuve
Doit être une expiation,
Dans la coupe où ta soif s’abreuve
Bois ta propre rédemption.

Tourne-toi vers la solitude,
Et, sous la paix des palmiers verts,
Fais de toi-même ton étude,
De toi-même et de l’univers.

Absorbe-toi dans la nature,
Merveilleux et vivant tableau ;
Donne à ton esprit pour pâture
La contemplation du beau.

Acceptant ces lois impassibles
Dont le règne éblouit tes yeux,
Cesse de tes vœux impossibles,
Cesse d’importuner les cieux ;

Et sans révoltes misérables,
Incline enfin ta liberté
Sous les décrets impénétrables
De l’infaillible Volonté.

Suis ta route, et si tu succombes,
Heureux de son sort accompli,
Dors en paix : — l’herbe sur les tombes
Pousse moins vite que l’oubli.

Collection: 
1835

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