• Au fond du parc, dans une ombre indécise,
    Il est un banc solitaire et moussu
    Où l’on croit voir la Rêverie assise,
    Triste et songeant à quelque amour déçu.
    Le Souvenir dans les arbres murmure,
    Se racontant les bonheurs expiés ;
    Et comme un pleur, de la grêle ramure
    Une...

  • Pour la première fois, voyant la mer à Bône,
    Un Bédouin du désert, venu d’El-Kantara,
    Comparait cet azur à l’immensité jaune
    Que piquent de points blancs Tuggurt et Biskara,

    Et disait, étonné, devant l’humide plaine :
    « Cet espace sans borne, est-ce un Sahara bleu,
    Plongé, comme l’on fait d’un vêtement de laine,
    Dans la cuve du ciel par un teinturier...

  • Dans l’Atlas, — je ne sais si cette histoire est vraie, —
    Il existe, dit-on, de vastes blocs de craie,
    Mornes escarpements par le soleil brûlés ;
    Sur leurs flancs, les ravins font des plis de suaire ;
    A leur base s’étend un immense ossuaire,
    De carcasses à jour et de crânes pelés.

    Car le lion rusé, pour attirer le pâtre,
    Le Kabyle perdu dans ce désert...

  • L’âpre hiver se dissipe aux souffles printaniers,
    La barque oisive au flot se livre ;
    L’étable et l’âtre, enfin, lâchent leurs prisonniers
    Et le pré n’est plus blanc de givre.
    Sous la lune, déjà,...

  • J’aimais autrefois la forme païenne ;
    Je m’étais créé, fou d’antiquité,
    Un blanc idéal de marbre sculpté
    D’hétaïre grecque ou milésienne.

    Maintenant j’adore une Italienne,
    Un type accompli de modernité,
    Qui met des gilets, fume & prend du thé,
    Et qu’on croit Anglaise ou Parisienne.

    L’amour de mon marbre a fait un pastel,
    Les yeux...

  • La Satiété dort au fond de vos grands yeux ;
    En eux plus de désirs, plus d’amour, plus d’envie ;
    Ils ont bu la lumière, ils ont tari la vie,
    Comme une mer profonde où s’absorbent les cieux.

    Sous leur bleu sombre, on lit le vaste ennui des Dieux,
    Pour qui toute chimère est d’avance assouvie,
    Et qui, sachant l’effet dont la cause est suivie,
    Mélangent...

  • C’est le soir, le couchant allumant ses fournaises
    Semble un fondeur penché qui ravive des braises ;
    Comme un bouclier d’or à la forge rougi,
    Par un brouillard sanglant le soleil élargi
    Plonge dans un amas de nuages étranges
    Qui font traîner sur l’eau la pourpre de leurs franges.
    Le rivage est désert ; — pour tout bruit l’on entend
    La respiration du...

  • Un ange chez moi parfois vient le soir
    Dans un domino d’Hilcampt ou Palmyre,
    Robe en moire antique avec cachemire,
    Voilette & chapeau faisant masque noir.

    Ses ailes ainsi, nul ne peut les voir,
    Ni ses yeux d’azur où le ciel se mire ;
    Son joli menton que l’artiste admire,
    Un bouquet le cache ou bien le mouchoir.

    Mon petit lit rouge à...

  • Enfant, pourquoi tant de parure,
    Sur ton sein ces rouges colliers,
    Ta clef d’argent à ta ceinture,
    Ces beaux rubans à tes souliers ?

    — « La neige fond sur la montagne,
    L’œil bleu du printemps nous sourit :
    Je veux aller à la campagne
    Savoir si le jasmin fleurit. »

    Pour moi ni printemps ni campagne,
    Pour moi pas de jasmin en fleur ;...

  • Sur la montagne de la vie,
    Au plateau de trente-cinq ans,
    Soufflent mes coursiers, haletants,
    De la Chimère poursuivie.
    Je reste là quelques instants,
    Brisé, mais l’âme inassouvie,
    Promenant mon regard glacé
    Sur l’avenir et le passé.