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    Si je vous dis, ce soir, en respirant ces roses
    Qui ressemblent au sang que l’on répand pour lui :
    L’Amour est là dans l’ombre et son pied nu se pose
    Sur le rivage obscur du fleuve de la nuit.

    Si je vous dis : l’Amour est ivre et taciturne
    Et son geste ambigu nous trompe, car souvent
    Il écrase une grappe au bord rougi de l’urne
    Dont il verse...

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    Les feuilles, une à une, et le temps, heure à heure,
    Tombent dans le bassin dont le jet d’eau larmoie ;
    Iphigénie en sang près d’Hélène de Troie,
    Danaé, Antigone, Ariane qui pleure,

    Marbres purs que le vent soufflette ou qu’il effleure !
    Si le torse se cambre ou si la tête ploie,
    Héroïque au destin qui caresse ou rudoie,
    La statue aux yeux...

  • Couche-toi sur la grève et prends en tes deux mains,
    Pour le laisser couler ensuite, grain par grain,
    De ce beau sable blond que le soleil fait d’or ;
    Puis, avant de fermer les yeux, contemple encor
    La mer harmonieuse et le ciel transparent,
    Et, quand tu sentiras, peu à peu, doucement,
    Que rien ne pèse plus à tes mains plus légères,
    Avant que de...

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    Un souvenir royal, mélancolique et tendre,
    Erre dans le palais et rôde par l’allée,
    Destin à qui la Mort tragique s’est mêlée,
    Poudre et fard devenus du sang et de la cendre.

    Dans le jardin désert j’entends la hache fendre
    Le saule où roucoula la colombe envolée ;
    Les roses ont fleuri l’ombre du mausolée,
    Et le ruisseau s’attarde et le banc...

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    Sois nombreux par le Verbe et fort par la Parole,
    Actif comme la ruche et comme la cité ;
    Imite tour à tour avec fécondité
    La foule qui demeure et l’essaim qui s’envole.

    Travaille, croîs, grandis ! que ta hauteur t’isole,
    Et dresse dans le ciel sur le monde dompté
    Ta rumeur obéie et ton bruit écouté ;
    Vis. Entasse la pierre et creuse l’alvéole...

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    Sépulcre de silence et tombeau de beauté,
    La Tristesse conserve en cendres dans son urne
    Les grappes de l’automne et les fruits de l’été,
    Et c’est ce cher fardeau qui la rend taciturne,

    Car sa mémoire encore y retrouve sa vie
    Et l’heure disparue avec la saison morte
    Et tout ce dont jadis, enivrée et fleurie,
    Elle a senti l’odeur féconde, saine...

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    O Vérone ! cité de vengeance et d’amour,
    Ton Adige verdi coule une onde fielleuse
    Sous ton pont empourpré, dont l’arche qui se creuse
    Fait l’eau de bile amère et de sang tour à tour !

    Le dôme, le créneau, la muraille, la tour,
    Le cyprès dur jailli de la fente argileuse,
    Et tes tombeaux guerriers et ta tombe amoureuse
    Te parent orgueilleusement...

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    « N’avez-vous pas tenu en vos mains souveraines
    La souplesse de l’eau et la force du vent ?
    Le nombreux univers en vous fut plus vivant
    Qu’en ses fleuves, ses flots, ses fleurs et ses fontaines. »

    C’est vrai. Ma bouche a bu aux sources souterraines ;
    La sève s’est mêlée à la fleur de mon sang
    Et, d’un cours régulier, naturel et puissant,
    Toute...

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    Je ne veux de personne auprès de ma tristesse
    Ni même ton cher pas et ton visage aimé,
    Ni ta main indolente et qui d’un doigt caresse
    Le ruban paresseux et le livre fermé.
     
    Laissez-moi. Que ma porte aujourd’hui reste close ;
    N’ouvrez pas ma fenêtre au vent frais du matin ;
    Mon cœur est aujourd’hui misérable et morose...